« Le gouvernement actuel voit l’immigration temporaire comme une solution permanente », s’indigne Véronique Proulx, présidente-directrice générale de Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ).
Alors que le secteur manufacturier enregistre plus de 31 000 postes vacants et des pertes de 18 milliards de dollars sur deux ans, faute de main-d’œuvre nécessaire, les données récoltées par MEQ suggèrent que « deux entreprises sur trois croient que le gouvernement du Québec pourrait en faire beaucoup plus pour régler le problème de pénurie de main-d’œuvre ».
État des lieux
« Les grands manufacturiers sont de grands contributeurs au développement économique régional », soutient Mme Proulx. Elle explique qu’à la différence d’autres entreprises, les manufactures ne peuvent pas toujours réduire leurs horaires de production, faute d’employés.
En 2020, seuls 15% des personnes arrivant de l’international pour s’établir dans la belle province étaient à l’extérieur du Grand Montréal, d’après les chiffres de l’Institut de la statistique du Québec. Malgré les efforts déployés par différents acteurs économiques et sociaux, les régions font face à plusieurs défis qui limitent leur attractivité : l’accès au logement abordable, le manque de transports en commun, de places en garderies ou encore à l’école.
Bien souvent, pour les employeurs de l’industrie manufacturière, l’immigration temporaire est donc la seule option, affirme Mme Proulx. Après l’agriculture, il s’agit du deuxième secteur en importance dans la province à faire appel aux travailleurs étrangers temporaires.
Ces derniers arrivent au Québec sur des visas d’un an, voire deux ou trois. Des frais importants, variants entre 10 et 12 000 $ par tête, sont engagés pour les faire venir et les accueillir ici. « Pour nous, ce n’est pas viable », admet Véronique Proulx, qui estime que le temps et l’investissement fournit par les employeurs est démesuré.
« On les loge, on les forme, on fait la francisation, s’ils sont là avec leur famille on trouve un emploi pour le conjoint ou la conjointe, l’école ou la garderie pour les enfants… », dit-elle, s’interrogeant : « pourquoi on ne peut pas les garder ici ? »
Mesures et réformes
En mai 2022, le ministre du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale, ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration et ministre responsable de la région de la Mauricie Jean Boulet rendait public un plan d’action pour favoriser la régionalisation de l’immigration.
Parmi les objectifs annoncés, le gouvernement souhaite mettre de l’avant l’installation en région dès l’étranger, en priorisant les personnes « dont les compétences répondent aux besoins des régions ».
Québec prévoit aussi des exemptions de frais de scolarité pour les étudiants internationaux en fonction du programme d’études et de la région, à compter de septembre 2023.
Des mesures saluées par Doudou Sow, expert en régionalisation de l’immigration et auteur de quatre livres sur le sujet. « C’est un pas dans la bonne direction », dit-il, soulignant par ailleurs que « les délais pour la résidence permanente sont un élément majeur de l’attraction, mais aussi de la rétention des travailleurs [étrangers], désirés en région ».
Les délais d’obtention de la résidence permanente ont fortement augmenté, notamment suite à la réforme du Programme de l’expérience québécoise (PEQ). Une réforme entreprise par le gouvernement dirigé par la Coalition Avenir Québec (CAQ), gouvernement qui, d’après Doudou Sow, « mise sur l’immigration temporaire pour répondre aux besoins pressants des employeurs ».
« Mais les personnes immigrantes ne sont pas là pour remplir des postes ou remplir des trous », affirme-t-il, invitant le prochain gouvernement à « avoir une vision d’ensemble de la régionalisation, c’est-à-dire une vision holistique, à la fois économique, sociale et culturelle », afin de favoriser l’intégration des nouvelles et nouveaux arrivants.
Promesses et propositions
En vue des élections générales provinciales d’octobre 2022, le Parti libéral du Québec (PLQ) et Québec solidaire (QS) ont mis de l’avant l’immigration comme moyen de répondre à la pénurie de main-d’œuvre, y compris dans les régions. Le Parti québécois (PQ) et le Parti conservateur du Québec (PCQ) sont fermement opposés à une hausse des seuils d’immigration. Bien qu’opposés sur la question de l’augmentation des seuils d’immigration, le PLQ et le PQ souhaitent tous deux prioriser les candidats qui souhaitent s’installer en région.
Si elle a promis d’accueillir 18 000 immigrants supplémentaires en 2022 pour pallier aux conséquences de la crise sanitaire, la CAQ a indiqué ne pas vouloir augmenter, en cas de réélection, les seuils d’immigration en réponse à la pénurie de main-d’œuvre à long terme.
Les experts et acteurs de la régionalisation s’entendent quant à eux sur la nécessité d’investir dans l’intégration, pas seulement dans l’attraction.
Pour Véronique Proulx, « la voie la plus prometteuse de régionalisation, c’est de partir de ces travailleurs étrangers temporaires qui sont en région et leur donner une voie d’accès rapide à l’immigration permanente ». Un projet pilote devrait, selon elle, être lancé afin de s’assurer que la transition de l’immigration temporaire à permanente soit bien réalisée.
Dans sa Plateforme électorale, MEQ propose également de mettre en place un incitatif financier non imposable de 10 000 $ par année et par personne, dans le but d’attirer en région des immigrants installés depuis moins de cinq ans à Montréal.
Doudou Sow souhaiterait voir le prochain gouvernement « miser sur les concertations régionales et l’application des recommandations issues des tables de concertation locales qui regroupent plusieurs acteurs ». Bref, regarder en face « les impératifs qui viennent du terrain ».