À l’aube des élections provinciales, l’immigration continue de défrayer la chronique et de préoccuper le gouvernement de la CAQ. Une préoccupation motivée par des intentions claires et éculées, mais qui n’est pas sans conséquences pour les personnes immigrées et le climat social.
Des investissements massifs en intégration, la création de Francisation Québec et la baisse des frais de scolarité pour certains étudiants étrangers, la réforme du PEQ, les lois 21 et 96 et le test des valeurs. Tout cela sur fond de discours prônant l’importance du français et des valeurs québécoises.
Un bilan de la Coalition Avenir Québec (CAQ) de François Legault en apparence contradictoire. Autant des mesures et des positions qui ont été pour certaines applaudies et pour d’autres refusées par la population immigrante.
« Cela peut sembler contradictoire, mais cela peut s’inscrire dans la logique utilitariste de la CAQ. Il faut voir la motivation derrière », explique Cassandre Gratton, candidate à la maîtrise à l’Université Concordia travaillant sur les positions de la CAQ en immigration.
Nation québécoise
En immigration, le premier ministre François Legault est motivé par des aspirations économiques et nationalistes. Des enjeux d’autant plus importants à l’approche des élections provinciales le 3 octobre 2022, comme en témoignent les récentes sorties du gouvernement sur le recul de la langue française. Le 1er juin dernier, François Legault attribuait ce recul à l’immigration non francophone.
Dans l’objectif de protéger la nation québécoise et le français, la CAQ a ainsi proposé le projet de Loi 96. Votée en mai 2022, la loi établit, entre autres, la création de Francisation Québec pour favoriser l’intégration des nouveaux arrivants. Un projet parmi d’autres qui améliore les financements en intégration et dont se réjouit Stephan Reichhold. « Ce sont des programmes qui n’existaient pas avant ; il y a une préoccupation plus sociale de l’intégration », explique le directeur de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes.
Or, tel que l’explique Cassandre Gratton en exemple d’autres mesures mises en place par le gouvernement, « même si la francisation a un impact positif, cela reflète des aspirations nationalistes. Tout le poids de l’intégration est sur les personnes immigrantes ».
Explosion de l’immigration temporaire
« La vision de l’intégration de la CAQ est restreinte, elle est basée sur deux indicateurs : le travail et la langue. On veut de la main-d’œuvre et des populations qui sont proches de nos cultures », explique Cassandre Gratton.
Dans cet objectif d’en « prendre moins mais d’en prendre soin » et de répondre à la pénurie de main-d’œuvre, la CAQ a réduit les seuils d’immigration permanente et fait presque doubler le nombre de travailleurs temporaires. Le 26 mai dernier, Jean Boulet, le ministre de l’Immigration a affirmé qu’il n’était pas dans son intention d’élever le seuil annuel de 50 000 personnes.
Grâce à une panoplie de mesures ciblées et mises en place depuis 2019, le gouvernement souhaite « arrimer » l’immigration aux besoins des employeurs. Cela a commencé avec la mise en place d’Arrima, la réforme du Programme de l’expérience québécoise (PEQ) et plus dernièrement avec les travaux en reconnaissance des compétences et la réduction des frais pour les étudiants étrangers intéressés par des secteurs en pénurie de main-d’œuvre.
Si certaines mesures comme la réduction des frais a été applaudie par les représentants de personnes immigrantes comme le groupe Le Québec c’est nous aussi (LQCNA), d’autres comme celle touchant le PEQ compliquent la vie de nombreuses personnes. «L’immigration temporaire n’est pas celle qui permet de s’intégrer », explique Cassandre Gratton.
Un utilitarisme historique
Cette vision de la CAQ est loin d’être unique et elle s’inscrit dans un héritage canadien et québécois. Le Canada sélectionne ses immigrés en fonction de leur éducation et de leurs qualifications depuis la fin des années 60. « L’immigration temporaire a explosé il y a 7 ou 8 ans au niveau fédéral », rappelle Stephan Reichhold.
Ce penchant s’est accentué depuis la pénurie de main-d’œuvre et la crise sanitaire mondiale. Pour relancer l’économie, les deux gouvernements redoublent d’efforts pour attirer de la main-d’œuvre et faciliter la rétention de ceux qui sont déjà sur le territoire.
Dans sa recherche, Cassandre Gratton a pu constater que les discours de la CAQ ressemblent à ceux des autres partis qu’elle a analysés. « Ils ne sont pas nouveaux, ils existent depuis très longtemps dans la province est sont perçus comme étant acceptables », détaille-t-elle. Ce sont les mesures, elles, qui sont selon la chercheuse « plus restrictives » ; on peut citer le test des valeurs ou la baisse des seuils de résidence permanente.
L’impact sur les personnes immigrées
Pour Claire Launay, « un glissement a rendu le Québec prêt » pour ces mesures : « Quand la Charte des valeurs a été proposée en 2013, c’était un choc. Quelques années plus tard, en 2019, la Loi 21 ne crée pas de choc », raconte la présidente du groupe le Québec c’est nous aussi, qui est elle aussi immigrée. Un constat que Cassandre Gratton approuve : « Cela révèle ce qui était déjà présent dans la société. Oui, ces mesures sont controversées, mais la CAQ est très populaire ».
Face à ce climat social crispé sur les questions d’identité et de religion et malgré des mesures aux effets positifs, il demeure une amertume et un sentiment d’appartenance blessé. « Je ressens une fatigue émotionnelle de voir et lire régulièrement comment l’immigration est un problème », partage Claire Launay. Elle aussi immigrée, elle est arrivée en 2011 et a obtenu sa citoyenneté en janvier 2022. « [Les discours et la situation] impactent mon bien-être. C’est déshumanisant », poursuit-elle.
En août 2022, l’Association d’études canadiennes a publié les résultats d’un sondage sur les discours, perceptions et impacts de la Loi 21, qui oblige les personnes offrant ou recevant un service de l’État à avoir le visage découvert. Il révèle que la situation des populations musulmane, juive et sikhe s’est détériorée, de même que le sentiment d’appartenance, impactant directement leur volonté à participer à la vie politique. « Cela a validé quelque chose dont on se doutait déjà », affirme Claire Launay. Selon elle, les effets seront visibles au plus long terme, avec des vagues d’émigration du Québec vers d’autres provinces par exemple.
L’humain derrière les chiffres
« C’est quelque chose très sous-estimé par les instances de décision. Ils pensent aux chiffres, aux solutions à la pénurie de main-d’œuvre ou à ce qu’ils perçoivent comme un problème », poursuite Mme Launay. Elle trouve que les personnes immigrantes ne sont pas suffisamment considérées comme des humains à part entière.
« On parle de nous, d’immigration, mais sans nous », s’offusque la militante. La présidente de LQCNA aimerait donc que le gouvernement implique les premiers concernés, les personnes immigrantes. C’est le travail que fait Le Québec c’est nous aussi en s’adressant directement aux deux gouvernements provincial et fédéral. À l’approche des élections, Claire Launay redoute qu’il y aura beaucoup de désinformation sur l’immigration. « Demandez-nous, on sait tout cela, on a notre place ici ! », appelle-t-elle.