« Ma première semaine au Canada, je me souviens d’être en train de regarder les nouvelles dans mon Airbnb quand j’ai entendu parler pour la première fois de fosses communes qui venaient d’être trouvées [à proximité d’un ancien pensionnat] », se souvient Chafic Mouharam, 28 ans, « et que ça m’a vraiment bouleversé ».
Chafic, ingénieur de données basé à Toronto, n’avait jamais entendu parler de l’histoire coloniale du Canada avant d’arriver au pays. Il n’est pas le seul.
Méconnaissance
Dans le rapport final de la Commission de vérité et réconciliation, publié en décembre 2015, l’appel à l’action 93 invite les autorités fédérales, en collaboration avec les organisations autochtones, à examiner « la trousse d’information pour les nouveaux arrivants au Canada et l’examen de citoyenneté afin que l’histoire relatée reflète davantage la diversité des peuples autochtones du Canada, y compris au moyen d’information sur les traités et sur l’histoire des pensionnats ».
Laura, 29 ans, qui nous a demandé de n’utiliser que son prénom, condamne le manque criant de ressources et d’information sur l’histoire des Autochtones mis à disposition des nouveaux arrivants. Même après des études en sciences humaines, la gestionnaire dans le milieu communautaire affirme « avoir beaucoup entendu parler des enjeux francophones et anglophones », ce qu’elle nomme « l’histoire majoritaire », mais presque rien sur les Peuples autochtones.
Un constat partagé par Alana Alvarez, 24 ans. Ayant grandi au Mexique, où cohabitent plusieurs peuples autochtones, elle raconte avoir été surprise de l’absence de la culture et des représentations autochtones dans l’espace public canadien. « J’ai l’impression qu’il y avait beaucoup plus de ressources et de présence [autochtone au Mexique] qu’ici au quotidien », dit-elle, relatant avoir pris réellement conscience de l’existence des enjeux liés aux Peuples autochtones lorsque son université, la Toronto Metropolitan University, a été rebaptisée parce qu’elle portait le nom d’un ancien ministre de l’Éducation, Egerton Ryerson, impliqué dans la création des pensionnats pour autochtones.
« Toute ma perception du Canada comme étant un pays tout droit sorti d’un conte de fées s’est effondré », confie Alana. « Nous bénéficions du pouvoir et de la richesse que ce pays leur a pris », dit-elle.
Réconciliation
En dépit du manque de la méconnaissance de l’histoire et des enjeux autochtones, les personnes issues de l’immigration ont-elles un rôle à jouer dans la réconciliation?
« C’est un conflit interne », admet Alana. « En tant qu’immigrante, je ne me sens pas responsable de la colonisation, mais en même temps je suis ici, dans ce pays de colons, et je bénéficie de toutes les structures coloniales », dit-elle. « En même temps, je crois que les immigrants sont une part importante de la réconciliation, parce que nombre d’entre eux ont été opprimés dans leur pays d’origine », soutient la jeune étudiante, précisant que la domination peut être le fait des anciens pouvoirs coloniaux comme des impérialistes. « Alors ils savent ce que ça fait d’être opprimés », poursuit-elle.
Originaire du Liban et scolarisé dans une école française, Chafic affirme avoir surtout été en contact avec un discours qui glorifiait le pouvoir colonial… jusqu’à son arrivée au Canada. Il affirme être « devenu conscient des problématiques liées au colonialisme, puis [avoir] commencé à appliquer cette pensée critique à l’histoire du Liban ».
En reflétant sur l’histoire coloniale de son pays d’origine et de son pays d’accueil, Chafic admet que « même si ce n’est pas à moi de dire ça, j’aimerais mieux avoir des immigrants, des Autochtones et des blancs au Canada plutôt qu’uniquement des Autochtones et des blancs ». Il s’explique : « Ça ajoute à la diversité, ça rend plus forte la minorité », une minorité qu’il croit pouvoir s’allier aux Premières nations, aux Inuits et aux Métis dans leurs luttes.
Française d’origine, Laura croit quant à elle que la France aussi doit reconnaître sa responsabilité coloniale au Canada.
Reconnaissance
S’il reste encore du chemin à faire vers la réconciliation, et que le rôle des personnes issues de l’immigration dans celle-ci reste à définir, certains appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation ont déjà été entendus.
C’est le cas de l’appel 94, qui suggère des modifications dans le serment de citoyenneté, suggestions ayant mené à un changement législatif. Depuis 2021, le serment que doivent déclarer les candidats à la citoyenneté canadienne comprend le respect des droits ancestraux et des traités conclus avec les peuples autochtones.
Tout juste devenue citoyen canadien, Hillary Stephen – qui préfère utiliser un pseudonyme pour nous répondre – reconnaît avoir été pris de court par la place accordée aux peuples autochtones dans le processus : des questions concernant l’héritage et les cultures autochtones dans le test au discours prononcé par le juge durant la cérémonie, celui qui est arrivée du Nigeria il y a 12 ans et affirme avoir toujours été sensible aux questions coloniales admet « avoir été agréablement surpris de la reconnaissance de l’héritage autochtone durant tout le processus ».
En dépit de ce qui peut être perçu comme un pas vers la réconciliation, le chercheur et historien au Musée canadien de l’immigration Steven Schwinghamer s’interroge sur le fondement même du système d’immigration canadien : « en regard aux Traités, je me demande comment nous pouvons avoir l’autorité de faire venir des gens sur ce qui se trouve souvent à être des territoires autochtones non cédés, ou souverains ».
« C’est l’un des aspects de l’affirmation continue du pouvoir colonial » au Canada, conclut-il.
Ceci est le deuxième article de notre série en deux parties qui explore la relation entre l’histoire de la colonisation et de l’immigration au Canada. Vous pouvez lire le premier article de la série ici.