Faute d’optimisme pour leur pays, les Libanais partent désormais pour s’installer et offrir un avenir à leurs enfants. En effet, la crise multidimensionnelle dans laquelle s’enfonce le Pays du Cèdre affecte la migration et l’intégration des Libanais. Aujourd’hui, ceux qui migrent le font plus pour s’installer. Ils portent de moins en moins l’espoir de revenir vivre au Liban, quand/si la situation s’améliorera; elle est soit perçue comme sans issue soit comme un problème qui prendra des décennies à se résoudre.
Il en reste tout de même une poignée qui garde l’espoir de revenir dans son pays natal si la situation s’améliore. C’est le cas de Rasha Hamade, qui est arrivée au Québec en 2019 pour étudier les sciences politiques. Elle rêve un jour d’être journaliste multimédia au Liban. « Je suis partie en me disant que j’allais rentrer, mais la situation là-bas est de plus en plus difficile », explique la jeune femme.
Aujourd’hui, avec la crise qui s’enlise dans son pays natal, elle se sent extrêmement heureuse au Québec. « C’est très diversifié, ce qui diffère de mon cercle au Liban et en France. Et en tant que personne queer, je m’y sens bien ! », raconte-t-elle.
Incertitudes
« Ce n’est pas facile de commencer une nouvelle vie, de tout rebâtir, de créer des liens avec les gens. Mais il faut le faire, car il faut s’intégrer », explique Mounir. De la même manière que pour le choix d’immigration, l’intégration reste pragmatique et guidée par la nécessité de vivre décemment.
Mounir est un gestionnaire de dossiers médicaux complexes à Montréal. Il est arrivé au Québec le 30 novembre 2020 pour les études, « car cela aide à s’intégrer », selon lui. S’il a choisi le Québec pour plusieurs raisons, aujourd’hui, il ne sait pas si c’était une bonne décision. « Le système canadien n’est pas facile et très bureaucratique. Beaucoup, malgré leurs études, ont du mal à trouver un emploi », justifie-t-il. Le jeune homme ajoute qu’il a des amis qui sont repartis faute d’y arriver. Lui a été chanceux, il a trouvé son emploi après deux mois et demi de recherches « intenses ».
Quant à savoir s’il compte rester au Québec à long terme, c’est toujours dur à dire pour lui. S’il est sûr que le Québec n’était pas « une étape » et qu’il compte demander la résidence permanente, il est incapable de penser plus loin. « Avec ce qu’on a vécu au Liban, je vis au jour le jour, on ne peut pas prédire les choses. J’ai perdu mon côté organisateur », explique Mounir, qui préfère n’utiliser que son prénom Un sentiment de précarité constante qui impacte certainement l’intégration et le sentiment d’appartenance.
Un impact minime
Après avoir quitté un quotidien fait d’incertitudes, d’une dévaluation continue de leur monnaie, de corruptions politiques, de manque d’électricité ou d’eau, il semble que les Libanais récemment installés se satisfont du confort de la vie au Québec. Celles et ceux que nous avons rencontrés se sentent surtout chanceux d’être là. Si bien que les tensions envers les personnes immigrées ou les personnes arabo-musulmanes les affectent peu.
« J’entends des remarques sur les Arabes, et quand je sors de Montréal, on me regarde. Cela me fait me sentir que je ne suis pas à ma place, mais je suis privilégiée, donc cela ne m’affecte pas beaucoup », explique Rasha Hamade, qui connaît cependant d’autres personnes qui vivent mal ce climat tendu vis-à-vis des étrangers, mais aussi des anglophones ou des allophones.
L’intégration peut être plus douce pour celles et ceux qui ont des privilèges tels que la connaissance du français, les études réalisées, l’expérience de travail préalable, la situation économique. Autant de facteurs qui ont permis à ceux qui ont choisi le Québec d’arriver à leurs fins et passer au travers d’un système sélectif. Autant de facteurs qui peuvent donner plus de facilités à s’intégrer, mais aussi à passer outre les débats sur l’immigration, le français ou la laïcité.
Une fuite vers d’autres provinces ?
Le climat tendu depuis vis-à-vis de l’immigration ainsi que les politiques toujours plus sélectives poussent de plus en plus de personnes vers d’autres provinces, comme le Nouveau-Brunswick ou en Ontario. À l’Université de Moncton par exemple, le nombre d’étudiants internationaux a doublé depuis 2020, passant de 775 à 1405. Les immigrants se passent le mot pour mettre en garde les futurs immigrants, étudiants ou candidats à la résidence permanente, de la complexité de migrer au Québec.
C’est ce que fait Rasha, qui partage avoir vu plus de ses proches que prévu quitter la province. « Ceux qui sont partis ont choisi l’Ontario, car tout y est plus facile, la conduite, la résidence permanente. Si on compare avec d’autres provinces, le Québec est moins intéressant, mais si on compare à d’autres pays, ce n’y est pas forcément mieux ailleurs », réfléchit-elle.
Le Québec possède un taux de rétention d’immigrants inférieur à la moyenne canadienne : 61,9 % des immigrants installés 5 ans plus tôt vivaient encore dans la province contre 79,1 % en moyenne, selon les données de Statistique Canada.
L’anxiété des démarches
Plus que le climat social, ce sont les démarches d’immigration qui sont mal vécues. Demander la résidence permanente reste lourd et compliqué au Québec. « Les longs temps d’attente bloquent pour la santé ou la banque. On perd notre temps et notre argent. Cela crée de l’anxiété. Même quand tu veux de la stabilité, tu ne peux pas en avoir », dénonce Mounir.
Même son de cloche du côté de Nisrine Moubarak, professeure adjointe et docteure en sciences infirmières à Montréal depuis septembre 2020. Elle a obtenu sa résidence permanente en août 2022, deux ans après avoir déposé sa demande. « C’était difficile et long. Cela m’a causé beaucoup d’incertitudes et de souffrance », partage-t-elle. « Cela laisse une trace… Je n’oublierai jamais. Même quand je suis bien j’y pense, surtout quand je vois des gens qui ont eu la résidence après 6 mois dans d’autres provinces », poursuit Nisrine.
Une injustice illogique pour Mounir. « Je ne comprends pas pourquoi Québec a une politique pro francophone, mais rend le chemin vers la résidence permanente si difficile », regrette-t-il. Pour lui, il faudrait donner une chance aux diplômés, qui sont déjà intégrés. « Il faut les embaucher, diminuer leurs frais de scolarité et les soutenir dans leur recherche d’emploi », demande-t-il.
Ce texte est le deuxième de notre série sur la diaspora libanaise au Québec. Consultez le premier article de la série ici.