Petite enclave au milieu d’une région tourmentée, le Liban fait malgré lui partie de la guerre à Gaza. Cette dernière a débuté le 7 octobre après les attaques du mouvement islamiste gazaoui Hamas sur Israël. Depuis, le groupe politique libanais chiite Hezbollah et l’État hébreu s’échangent aussi des tirs à la frontière sud du Liban. L’armée israélienne a déjà tué près de 60 personnes, dont des civils et deux journalistes.
« Ma mère vivait à Choueifat, en territoire du Hezbollah [au Liban-Sud]. On a eu très peur et on l’a convaincue de partir la semaine dernière », raconte Rosie Karkari depuis Dubaï. Après le départ de sa mère, l’agente immobilière de 51 ans a aussi décidé de quitter son pays, préférant prévenir que guérir afin, surtout, d’apaiser sa famille inquiète.
Retenir son souffle
« Au Liban, nous sommes paralysés par la situation, car nous sommes coincés au milieu », explique Rosie. La population n’a d’autre choix que d’attendre que d’autres décident pour elle.
À la fin d’une longue discussion par téléphone, Rosie s’excuse du trop-plein d’émotions qu’elle avait besoin de partager. En plus de la colère, la nervosité, la peur et la honte, s’ajoute aussi la frustration de ne pas savoir. « J’adore le Liban et mon travail, mais je ne sais pas quand je vais pouvoir rentrer, ma mère non plus, », explique-t-elle.
Une peur et une incertitude qui se sont décuplées quand Hassan Nasrallah, chef du Hezbollah, a annoncé qu’il ferait une déclaration vendredi 3 novembre. C’est sa première prise de parole depuis le 7 octobre et tous craignent une déclaration de guerre. « Tout le monde retient son souffle », partage Rosie, dans les mots exacts employés par toutes les personnes interrogées.
Une histoire lourde
Et pour cause, la population libanaise est encore hantée par le souvenir de la guerre de 2006. Depuis la fin de ce conflit de 33 jours, Israël et le Liban sont encore officiellement en guerre. Même avant le 7 octobre, les échanges de tirs étaient réguliers entre les deux pays, qui sont séparés par la Blue Line et surveillés par des Casques bleus de l’UNIFIL. Mais c’est la première fois que le spectre de la guerre de 2006 est aussi présent.
« Il n’y a aucun intérêt de s’aventurer à ouvrir un front au Liban-Sud parce que les Libanais ne peuvent plus supporter cela », a déclaré le premier ministre sortant Najib Mikati le 16 octobre. Embourbés dans l’une des pires crises économiques depuis 1850, les Libanais (dont plus de 80 % sont sous le seuil de pauvreté) subissent une dévaluation de 98 % de leur monnaie, ainsi qu’une forte inflation. Le Liban de 2023 ne pourrait se relever d’une guerre comme celle de 2006, avec ses 3 milliards de dollars de reconstruction.
Si certaines franges de la population et des experts estiment que le conflit ne se généralisera pas à tout le pays, d’autres sont effrayés. « Nous, les Libanais, avons vécu assez de choses, nous sommes tous en état de stress post-traumatique. Alors nous ne voulons pas d’une guerre », explique Lamia Charlebois, consultante en relations publiques et créatrice de la communauté Sirop d’arabe, comprenant 12 000 Libanais au Québec.
Panique
Depuis le début de ce que beaucoup nomment un génocide, un sentiment de panique n’a cessé de se répandre au Liban et parmi la diaspora. Si, au début, la population ne s’alarmait pas outre mesure, c’est l’escalade du 15 octobre qui a commencé à inquiéter. Le siège des Casques bleus a été touché par un tir à Naqoura dans le sud du pays et les affrontements entre la milice du Hezbollah et l’armée israélienne se sont intensifiés tout le long de la frontière.
Et puis, il y a eu la terrible nuit du mercredi 18 octobre. Cette dernière a signé le glas de l’horreur. Voir un hôpital bombardé à Gaza a glacé le sang de tous les Libanais, comme s’ils avaient senti eux-mêmes la déflagration à 600 kilomètres plus loin.
Peu à peu, les pays ont commencé à rapatrier leurs diplomates, les compagnies aériennes annulaient leurs vols, voire leurs connexions. Et les avis conseillant aux ressortissants étrangers de partir se multiplient.
Impuissance
Parallèlement, ce sont entre 20 000 et 70 000 personnes qui ont quitté leurs terres au sud du pays pour se réfugier à Beyrouth et à Tyr surtout, selon la municipalité de Tyr. L’armée israélienne a déjà réduit 40 000 oliviers et 45 000 hectares de terres en cendres, favorisant l’exode.
« Ils ont commencé à brûler les champs d’oliviers de la maison de ma grand-mère, à Alma Al-Chaab [Liban-Sud]. C’est comme s’ils brûlaient qui ont est et ce qu’on a », regrette Sandy El Bitar, dramathérapeuthe depuis son appartement de Montréal.
Dans un état second, Sandy partage le flot d’émotions qui la traversent depuis bientôt un mois : « Je suis en colère et j’ai tout le temps envie de vomir ». À des milliers de kilomètres de son pays, la thérapeute se sent privilégiée d’être en sécurité, mais son sentiment d’impuissance et d’injustice est décuplé. « J’ai peur de retourner au Liban, j’aurais aimé rentrer au printemps pour revoir mes proches », partage-t-elle.
Comme beaucoup d’autres, elle est très affectée par la situation. Obsédée par les informations, elle ne quitte son téléphone qu’au travail. En plus de participer aux manifestations à Montréal, elle organise des événements pour aider la communauté de personnes proches du conflit à porter le deuil pour les victimes à Gaza. « On ne peut que faire les bases : travailler, manger, tenter de dormir. La majorité d’entre nous n’est pas à même de profiter de la vie », partage-t-elle.
Sécurité
Jointe par téléphone, l’ambassadrice du Canada au Liban, Stefanie McCullom conseille aux ressortissants d’être sur leurs gardes et faire de leur sécurité une « priorité absolue ». Le premier avertissement vis-à-vis de la situation a été publié le 15 octobre, date à laquelle les ressortissants devaient éviter tout voyage non essentiel et quitter le pays, tant que les vols commerciaux sont disponibles. Depuis le 31 octobre, les « conseils aux voyageurs » ont de nouveau été mis à jour et Ottawa recommande ainsi d’éviter « tout voyage ».
Parallèlement, l’Ambassade du Canada au Liban envoie des communications par courriel à toutes les personnes inscrites sur le registre des Canadiens à l’étranger au Liban.
Mme McCullom explique que l’Ambassade s’est préparée à plusieurs scénarios. Plus de personnel a été déployé à l’ambassade et 300 personnes des forces armées canadiennes ont été envoyées dans la région pour faciliter le soutien logistique en cas de départ assisté.
Enfin, l’ambassadrice conseille aussi de préparer des denrées pour se mettre à l’abri en cas d’urgence : « Se doter de grandes quantités de nourriture, d’eau, de médicaments ou de produits essentiels. Et faire en sorte que tous les documents de voyages soient prêts et à jour au cas où il faut évacuer le pays ».
Face à ces mises en garde pour éviter tout voyage, Lamia Charlebois entend rappeler que lorsque l’on vit à l’extérieur de son pays d’origine, la notion de voyage essentiel prend un tout autre sens. « On a forcément des parents vieillissants et si l’un d’eux tombe malade, il est évident que l’on doit rentrer pour les soutenir », affirme-t-elle. Malgré tout, elle a décidé de reporter son séjour prévu fin novembre pour le printemps, en espérant que la situation se soit calmée d’ici là.
En cas de rapatriement
En 2006, 14 000 Canadiens avaient été rapatriés pour un coût de 94 millions de dollars.
Pour l’instant, tant que les vols commerciaux sont disponibles, aucun rapatriement n’est organisé. « Si un rapatriement est nécessaire, on devrait évacuer les citoyens et les résidents permanents et leurs conjoints et enfants vers une destination sûre. Chypre pourrait être une bonne destination », détaille-t-elle.
L’ambassadrice précise que les ressortissants seront informés en détail. « On leur dira où est la destination, quels sont les coûts pour eux, etc., pour qu’ils puissent prendre une décision éclairée », poursuit Mme McCullom. Selon les derniers départs assistés organisés par le Canada ailleurs dans le monde, le transport vers la zone sûre devrait être pris en charge, mais pas les repas, le logement, ainsi que la poursuite du voyage vers le Canada.
Comment s’informer ou se faire aider ?
Pour s’inscrire au service d’inscription des Canadiens à l’étranger et suivre l’évolution de la situation. « Je recommande que ceux qui ne l’ont pas encore fait s’inscrivent à cette liste. On les met à jour, on leur envoie des conseils, des préparatifs. Sinon, on n’a aucun moyen de savoir qu’ils sont ici et on ne peut pas les aider », explique Mme McCulloum.
Les personnes ayant besoin d’une aide du Consulat peuvent écrire à cette adresse : [email protected] ou contacter le Centre de surveillance et d’intervention d’urgence à Ottawa :
- téléphone : +1 613-996-8885 (les appels à frais virés sont acceptés, le cas échéant) ;
- message texte : +1 613-686-3658 ;
- WhatsApp : +1 613-909-8881 ;
- Telegram : Urgence Canada à l’étranger ;
- Signal : +1 613-909-8087 ;
- courriel : [email protected].