Si la mesure entrée en vigueur le 29 février vise à freiner les demandes d’asile jugées excessives, elle a des conséquences importantes pour de nombreuses personnes ayant des projets au pays. Alors que la communauté mexicano-québécoise gagne en importance, de nombreuses voix plaident pour des programmes dignes de son essor actuel.
Artiste contemporain originaire de Tlaxiaco, dans l’État de Oaxaca, Jesús González figurait parmi les invités de la Semaine de sensibilisation aux Premières nations, qui avait lieu du 11 au 15 mars à l’Université de Lethbridge, en Alberta.
Suite à l’annonce de l’imposition du visa le 29 février, l’artiste a dû annuler sa participation. Le visa entrait en vigueur le jour même.
L’Université prévoyait inaugurer une œuvre créée par l’artiste originaire de la nation Mixtèque lors d’une résidence de création qu’il a effectuée en juin 2022 à Banff.
« Cette œuvre me tient à cœur et j’ai été pris par surprise, dit-il. Grâce au soutien extraordinaire de l’Université Lethbridge, nous allons réaliser l’inauguration plus tard cette année. »
L’artiste mentionne qu’il a dû entreprendre les démarches pour l’obtention du visa. « La situation peut être plus délicate pour des compatriotes qui devaient aller visiter des proches ou faire d’autres projets au Canada, dit-il. Je constate qu’il y a beaucoup d’échanges entre nos pays. »
Enjeux humains
Avec le 13e plus important PIB au monde, le Mexique est devenu un acteur mondial incontournable et est un partenaire économique majeur du Canada.
Au moment de l’annonce du visa, le gouvernement mexicain a fait valoir son désaccord et y est allé d’efforts diplomatiques pour dissuader le Canada.
« Le Mexique déplore cette décision et considère qu’il existait d’autres options avant d’en venir à l’application de cette mesure », peut-on lire dans un communiqué de presse officiel. Par ailleurs, le président Andres Manuel Lopez Obrador a fait savoir qu’il annulait sa participation au prochain Sommet des leadeurs nord-américains en 2024.
Imposée en 2009 par le gouvernement conservateur de Stephen Harper, l’exigence de visa avait été levée en 2016 à la suite de l’élection de Justin Trudeau. Son gouvernement justifie le retour du visa par le nombre de demandes d’asile, qui atteint 24 000 en 2023.
Outre les personnes ayant obtenu un visa canadien entre 2014 et 2016, ceux qui possèdent un visa des États-Unis pourront en être exemptés. Il en va de même des détenteurs de permis d’études ou de travail – notamment les participants aux programmes de travailleurs temporaires.
« Indépendamment de son acceptation, la demande elle-même implique des frais de plus de 100 $, en plus de coûts additionnels pour des empreintes biométriques et des examens médicaux, note Jaime Vazquez, consultant en immigration à Oaxaca. Il s’agit d’un processus complexe. »
Le consultant constate déjà des conséquences parmi sa clientèle. « Aujourd’hui même, une cliente m’a fait part de l’annulation du voyage touristique qu’elle prévoyait faire au Canada, note-t-il. Ce sont aussi des gens qui avaient des projets de travail qui se trouvent pris de court. »
Il note que suite à la restriction des règles en immigration par le gouvernement de Donald Trump, une multitude de personnes migrantes vivant aux États-Unis ont mis le cap sur le Canada.
« Plusieurs personnes peinent à trouver des opportunités de travail intéressantes, tentant d’obtenir des conditions dignes, déplore-t-il. On gagne à développer des programmes d’immigration sensibles à ces enjeux humains. »
Échos à Montréal
Une demande du premier ministre du Québec, François Legault, précède l’imposition du visa par le gouvernement de Justin Trudeau.
« Avec un visa ciblant les ressortissants mexicains, le gouvernement affirme prévenir l’excès de demandes d’asile, dit Irlanda Espinoza, présidente de l’Alliance des commerces mexicains de Montréal. Ce sont pourtant des demandes faites par des personnes de tous les pays et il s’agit d’un droit international reconnu par la Convention de Genève. »
Mme Espinoza plaide pour une immigration adaptée au Mexique.
« Il existe des programmes issus de partenariats avec divers pays, comme le Permis Vacances de Travail; celui-ci permet à une personne de venir travailler durant un an et lorsqu’elle démontre qu’elle fait preuve d’intégration et qu’on la recommande au travail, elle peut ensuite passer à une immigration économique totalement légale, dit-elle. Qu’est-ce qui explique que les Français et les Chiliens y aient accès et non les Mexicains? »
Mme Espinoza observe que l’immigration mexicaine joue un rôle crucial dans la vitalité du Québec contemporain.
« Il était pratiquement impossible il y a une vingtaine d’années de trouver des tortillas à Montréal, dit-elle. Aujourd’hui, tout le monde sait ce que c’est et notre culture fait voir ses couleurs. »
Une croissance qui contraste avec l’imposition d’un visa canadien.
« Notre apport connaît un excellent accueil, dit-elle. Alors, il nous indigne de voir un gouvernement nous faire mauvaise presse. »
Artiste et ingénieur de son à Montréal, Carlos A. Soto se distingue comme un des pionniers du hip hop en espagnol au Québec.
« Je vois le visa comme un pas en arrière, dit le musicien originaire de Mexico. Cela prive beaucoup de gens de belles occasions. »
Il considère aussi que cette mesure contraste avec la croissance de la communauté mexicano-québécoise. « L’inspiration mexicaine est incontournable, dit-il. Au-delà des restaurants qui ouvrent depuis un an ou deux à Montréal ou à Laval, on assiste à de nombreux projets médiatiques et culturels qui mettent en lumière la présence du Mexique au Québec. »
Une connexion interculturelle qu’illustre l’œuvre de Jesús González.
Véritable appel au dialogue entre les nations autochtones du Mexique et du Canada, son travail constitue un appel à dépasser les frontières. « Je m’apprêtais à revenir au Canada grâce à une invitation du professeur Leroy Little Bear, qui enseigne à l’Université Lethbridge et qui est issu de la Nation Pieds-Noirs, dit l’artiste. Il y a de beaux échanges du Nord au Sud pour les Premières nations. »