Trois ans après la publication de son rapport sur le racisme et la discrimination systémique des cols bleus à Montréal-Nord, Angelo Soares déplore que le document ait été tabletté, ce que le syndicat qualifie de « complètement faux ».
Lors d’un colloque organisé par la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), les 26 et 27 mars derniers, autour du thème « Vers un syndicalisme antiraciste : de la réflexion à l’action ! », le professeur a dénoncé le fait que rien n’ait été fait avec son rapport. Il a réitéré ses critiques une semaine plus tard lors d’une rencontre avec plus d’une vingtaine de cols bleus à Montréal-Nord.
« Ce qui est décevant, c’est quand le syndicat et/ou l’employeur sont très lents à agir. Par contre, il y a eu d’autres cas où le syndicat a pris en charge et fait des campagnes énormes comme je ne l’aurais jamais imaginé », observe le chercheur. Angelo Soares fait allusion à un rapport qu’il avait produit en 2001 sur le traitement différencié des travailleurs dans le système éducatif.
Le professeur a réalisé un total de 67 heures d’entrevues avec les cols bleus en 2021, ce qui lui a permis d’établir que la discrimination et le racisme au travail à la Ville de Montréal sont bien réels, notamment dans l’arrondissement de Montréal-Nord. Avec 67 % de la population issue de l’immigration, on retrouve les citoyens nés à l’étranger dans les emplois les plus précaires et les plus difficiles, concluait-il.
Au total, au moment de son enquête, on dénombrait 153 cols bleus, dont 37 % des minorités visibles. Et 63 % sont des titulaires (plus de 76 % sont des Blancs et seulement 23 % des minorités visibles).
36 % étaient des auxiliaires, avec des emplois précaires susceptibles d’être mis à pied (de ce nombre, 62 % minorités visibles, 38 % Blancs).
« Le problème, c’est que les gens ferment les yeux et j’ai vu cela à outrance dans le cas de Montréal-Nord, dit le professeur Soares, je voulais démontrer qu’il y a un effet qui est systémique, les gens sont placés dans certaines places. »
Il est tout autant critique envers le syndicat des cols bleus que de l’employeur. L’auteur du rapport va jusqu’à dire que le SCFP301 a tenté de le museler à la sortie du document.
« L’ancien président Luc Buisson m’a appelé pour me dire : nous avons regardé ici dans nos papiers pour voir s’il y avait un moyen de vous empêcher de parler, mais on n’est pas capable de trouver, affirme M. Soares, et je lui ai répondu que c’est de ma liberté académique qu’il s’agit, si le syndicat ou l’employeur n’aime pas. Je suis désolé. »
Pointé, le syndicat accuse la Ville
« Je ne peux pas me porter garant du passé, mais de l’avenir », répond aujourd’hui l’actuel président du Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP-301), Jean-Pierre Lauzon, en entrevue avec le Média des nouveaux Canadiens (MNC).
Pour ce qui est des accusations de laxisme quant aux actions entreprises dans le cadre des rapports Soares et Saba, M. Lauzon affirme sans détour que « pour moi, c’est complètement faux » et accuse plutôt la Ville de Montréal dans cette affaire.
« C’est à cause de la Ville de Montréal. Ils multiplient des procédures pour retarder les dossiers, empêcher les membres victimes d’être entendus », se défend-il.
« On a même demandé à la mairesse de s’excuser publiquement, mais c’est toujours silence radio. Toutes les fois qu’on demande un retour sur le comité qui a été créé à cet effet, mais depuis janvier, rien », dénonce le syndicaliste.
Selon Jean-Pierre Lauzon, la Ville ne fournit jamais aux employés victimes les ressources nécessaires pour s’attaquer au racisme. Lors de notre entretien avec lui, M. Lauzon a évoqué le cas d’une employée, paradoxalement du bureau de la discrimination, qui s’est fait discriminer. Elle témoignait cette semaine devant le tribunal totalement dépourvue de ces moyens-là.
Le président du syndicat qualifie le Guichet unique des plaintes pour racisme de « poudre aux yeux ». « C’est du pareil au même. En fin de compte, c’est toujours eux autres qui prennent la décision finale », déplore Jean-Pierre Lauzon qui menace de passer à une « vitesse supérieure » dans sa lutte.
Dans les prochaines semaines, on devrait observer une accentuation du rythme dans les actions syndicales. M. Lauzon dit vouloir amener sur la table des discussions pour une nouvelle convention collective la question du racisme et de discrimination afin de l’inclure et l’encadrer dans l’entente.
« Il faudrait que j’aie une rencontre avec la mairesse, dit-il, si cela ne change pas rapidement, on va arrêter de faire des annonces et on va arrêter d’écouter la mairesse dire qu’elle lutte contre le racisme systémique. Moi, les comités qui tournent en rond, je suis un peu tanné avec cela. »
« Dans une bureaucratie, quand on ne veut pas régler un problème, on crée un comité. Selon moi, ce n’est pas le temps de faire des comités, il faut régler le problème », dénonce, pour sa part, Angelo Soares qui dit avoir refusé de faire partie de ce Comité pour ces raisons.
Des cols bleus pris en sandwich
Pour les employés qui ont pris part à la rencontre avec le professeur Soares, plus cela change, plus c’est pareil à Montréal-Nord. Et d’après Patrick Roy, un délégué syndical blanc qui avait créé une page Facebook pour dénoncer la situation, serait même pire aujourd’hui.
« Le fond a changé, les méthodes ont changé, mais je vous dirais que c’est encore plus présent et plus subtil. Les personnes noires ne mangent même plus à la cafétéria ou il y a des tables de ségrégation », lance-t-il lors de la rencontre. Depuis la publication du rapport, quelques Noirs ont été promus cadres, mais cela ne plaît pas à la vieille garde.
« Les gens disent que les boss noirs qui ont été nommés ne sont pas compétents. On les a nommés à cause du rapport. C’est devenu pire qu’avant parce qu’ils veulent dénoncer le rapport », rapporte M. Roy. En plus de l’inaction de l’employeur, les cols bleus estiment que le syndicat n’a pas fait grand-chose pour les aider, d’où une plainte en 47.2 pour défaut de représentation.
Cette plainte a été suspendue en janvier 2023 afin de permettre au syndicat de faire avancer le dossier. Mais cela fait trois ans que cela traîne. Plusieurs d’entre eux ont exprimé le souhait de quitter le SCFP301, ce que M. Soares leur a déconseillé de faire.
« Il faudrait plutôt renforcer votre présence et vous regrouper le plus possible dans les plaintes », a-t-il dit.
En 2021, en pleine campagne électorale, l’arrondissement de Montréal-Nord se disait « ouvert à l’idée qu’on aille jusqu’à des réparations ». Mais, Christine Black disait attendre les recommandations de l’administration municipale, en négociations actuellement avec le syndicat, afin de procéder. Des discussions qui n’ont toujours pas abouti, à date.
« Le syndicat représente les employés. Il semble y avoir des enjeux de gouvernance. Mais, moi, je ne peux pas m’en mêler », avait indiqué Mme Black.