Sur papier, Klaudia Banya n’est pas canadienne. Elle arrive pourtant au Canada en 2009, à peine âgée de 11 ans, et s’installe avec sa famille à Niagara Falls, en Ontario, où elle réside encore – mais peut-être plus pour longtemps.
Le 15 janvier dernier, son mari, Richard Maszlag, 35 ans, s’est vu opposer un refus à l’Examen des risques avant renvoi (ERAR). Il a trois mois pour quitter le territoire du Canada, sa femme Klaudia, résidente permanente, et leurs quatre enfants. Trois d’entre eux ont la citoyenneté canadienne, et la décision concernant la demande d’asile pour le petit dernier est en attente.
Dans le document officiel d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), qu’a pu consulter le Média des Nouveaux Canadiens, la décision est ainsi justifiée : « Il a été déterminé que vous n’êtes pas sujet à un risque de persécution, de torture, un risque pour votre vie ou un risque de traitement cruel ou inhabituel, ou de châtiment si vous retournez en Hongrie » (traduction libre de l’anglais).
Ne jamais revenir
Richard et Klaudia et leur famille appartiennent à la minorité rom de Hongrie, qui représente entre 8 et 10% de la population du pays, soit entre 700 000 et 900 000 personnes.
Amnesty International, dans son rapport annuel 2023, observe du racisme et des discriminations « dans les domaines de l’emploi, du logement et de l’éducation ». L’ONG note aussi des tentatives d’intimidations de la part de groupes d’extrême droite, en marge desquelles « la police n’a pas pris de mesures adéquates ».
Ce que relève ce rapport, Richard et Klaudia racontent l’avoir vécu dans leur chair. À l’époque où Klaudia et sa famille demandent l’asile au Canada, « des groupes nazis tuent des familles en Hongrie et dans les pays voisins », relate-t-elle, évoquant des raids dans les quartiers habités par sa communauté, des maisons brûlées, ou encore des voisins, tirés à bout portant en plein milieu d’une rue. Des faits documentés, à l’époque, par le réalisateur Karl Nerenberg dans Never Come Back (2011), un film sur la communauté rom du Canada, dans lequel figure notamment la famille Banya.
« Ils n’ont peur de personne », craint Klaudia, « ils peuvent me tirer dessus, sur mes enfants et mon mari, et l’[IRCC] n’en a pas conscience », dénonce-t-elle.
Si IRCC a reconnu les discriminations vécues par les roms de Hongrie, confirme un avocat mis au courant du dossier. Richard, lui, n’a pas été considéré comme étant à risque d’être persécuté.
Désunir pour mieux réunir ?
Des cas comme celui de la famille Banya-Maszlag, impossible de savoir il en existe combien. Pierre-Luc Bouchard, avocat, admet par ailleurs qu’« il est relativement fréquent de voir des familles dont un membre a un statut irrégulier et qui ont des difficultés à régulariser sa situation », au Centre de réfugiés de Montréal où il officie.
Interrogé dans le cadre de cet article, IRCC a affirmé ne pas pouvoir commenter le cas de la famille Banya-Maszlag, mais assure que « le gouvernement du Canada est déterminé à réunir les familles ».
La réunification familiale, c’est d’ailleurs l’option qu’a choisie le couple, même si une révision de la décision concernant l’ERAR aurait pu être demandée à la Cour fédérale. Lorsqu’effectuée sur le territoire canadien, une demande de réunification familiale prend actuellement 10 mois et, depuis l’internationale, le délai s’élève à 14 mois, selon IRCC : une attente qu’auraient préféré éviter Richard et Klaudia.
Mais après avoir repoussé le plus longtemps possible le moment de fixer la date de son départ, espérant un miracle ou l’intervention tout aussi divine de leur avocat, le couple s’est finalement résigné à prendre un aller simple au nom de Richard Maszlag, le 8 mai prochain.
« Une famille ne devrait pas être séparée »
Klaudia et leurs enfants ne devraient d’ailleurs pas tarder, eux aussi, à retraverser l’Atlantique. Avec un nouveau-né à la maison – un appartement de deux chambres à coucher qu’elle partage avec ses parents -, elle soutient ne pas être prête à reprendre le travail « Je ne suis pas en mesure de nous supporter financièrement, avec les enfants », admet-elle, « je n’aurai pas le choix de le suivre ».
« Notre famille risque beaucoup. Nos vies, le futur de nos enfants », affirme Klaudia, qui garde un souvenir désastreux de la première expulsion de son mari, en 2019 : leur premier enfant a alors un an, et « c’est un énorme traumatisme pour lui », non-verbal jusqu’à ses 3 ans et demi. La jeune femme rejoint alors Richard au Royaume-Uni, où il s’est à nouveau exilé, mais ils rencontrent les mêmes discriminations, « comme partout en Europe », dit-elle. « Au Canada, personne ne se soucie de la couleur de ma peau, tout le monde s’en fout si tu es gitan […]. On te traite comme un humain. »
Elle se permet alors de rêver à ce qu’aurait pu être leur retour au Canada, en 2023, après un séjour de plusieurs années au Royaume-Uni : « je pensais que ce serait bon pour nos enfants, que nous pourrions louer une belle maison et que mon mari pourrait travailler » dans son domaine, la construction.
« Mais maintenant je n’ai plus le choix de partir [avec les enfants] », se résigne-t-elle, laissant échapper telle une complainte : « l’immigration nous a fait ça en nous séparant ».