Les associations étudiantes et les organisations de défense des droits humains attendent des changements concrets de la part de l’Université Concordia, suite à ses excuses pour le racisme institutionnel et à la reconnaissance de sa responsabilité quant à l’émeute étudiante de 1969.
Fawaz Haloum, coordonnateur général de l’Association étudiante de Concordia (Concordia Student Union, CSU), a déclaré avoir entendu le recteur et vice-chancelier Graham Carr, lors d’une réunion du Conseil des Gouverneurs de l’Université, le 27 octobre dernier, soutenir que les excuses de l’établissement n’exigeaient pas de réparations financières.
Dans ses excuses, M. Carr a fait mention de la violence des arrestations et des conséquences à long terme entraînées par cette stratégie de répression, pour les étudiant.e.s qui l’ont subie, notamment les congédiements, les déportations et les traumatismes psychologiques.
« Le recteur a mentionné que certain.e.s étudiant.e.s impliqué.e.s [dans l’émeute] ont été expulsé.e.s et ont peut-être fait face à des conséquences juridiques les empêchant de poursuivre ou de terminer leurs parcours d’études, a déclaré Haloum. Il n’y a pas eu d’indemnités versées pour les préjudices moraux causés, ni pour les pertes de revenus ».
Reconnaître le racisme institutionnel
Les excuses présentées le 28 octobre par l’administration constituent une première reconnaissance officielle du racisme de l’institution, depuis les émeutes de 1969. Celles-ci ont eu lieu alors que près de 200 étudiant.e.s s’étaient barricadés dans le laboratoire d’informatique du bâtiment Henry F. Hall en réponse à l’inaction observée depuis des mois par l’établissement, suite aux dénonciations, déposées par six étudiants racisé.e.s, des comportements racistes d’un professeur.
Le sit-in, d’une durée de 13 jours, constitue la plus longue occupation étudiante de l’histoire du Canada. Initiée par un groupe d’étudiant.e.s caribéen.ne.s, cette mobilisation ciblait le racisme d’un professeur. L’Université a fait appel à la police pour mettre fin à l’occupation et son intervention a conduit à plus 2 millions de dollars de dégâts matériels et 97 arrestations.
« Nous devons reconnaître comment le racisme institutionnel se manifeste, non seulement historiquement, mais dans la réalité actuelle de nos systèmes d’éducation, y compris l’enseignement supérieur », a déclaré M. Carr.
« Nous devons nous engager à lutter contre le racisme institutionnel, afin que des événements tels que ceux de 1969 ne se répètent pas ».
Si les représentant.e.s étudiant.e.s et communautaires ont soutenu les excuses de l’établissement, plusieurs demandent à l’université de prendre davantage de mesures pour favoriser la diversité et l’égalité culturelles sur le campus.
Amaria Phillips, cofondatrice de l’Association des étudiant.e.s noir.e.s (Black Student Union, BSU), affirme qu’il vaut mieux s’excuser tard que jamais.
« Au moins, la reconnaissance exprime une conscience du fait qu’il y a du racisme, qu’il y en a encore sous différentes formes sur le campus », a déclaré Mme Phillips, qui est également administratrice de Black Perspectives Office (BPO), un organisme récemment mis en place à l’Université Concordia.
« La communauté noire de l’Université n’attend que des actes ».
L’Université a publié le rapport final du groupe de travail du recteur sur le racisme anti-Noir.e.s le jour même de ses excuses. Le rapport vise à « contribuer positivement à la poursuite du démantèlement du racisme systémique à l’Université Concordia et à combattre le racisme anti-Noir dans l’enseignement supérieur au Canada ».
Le rapport guidera les mesures que prend l’Université en matière de diversité au cours des prochaines années et les recommandations qu’il présente sont regroupées sous quatre catégories : stimuler le changement institutionnel, favoriser l’épanouissement des personnes noires, soutenir la culture noire et promouvoir la réciprocité.
Fo Niemi, directeur général du Centre de recherche-action sur les relations raciales (CRARR), qui a fait le suivi de plusieurs plaintes d’étudiant.e.s racisé.e.s, constate dans le rapport l’absence de certains enjeux majeurs vécus par les étudiant.e.s noir.e.s, comme la violence sexuelle sur le campus et les indemnisations pour des pertes financières dues au racisme.
« Au cours des 10 dernières années, nous avons eu plusieurs cas d’étudiant.e.s noir.e.s qui ont pris contact avec nous pour des choses qu’il.elle.s ont vécues, mentionne Niemi. Nous ne voyons pas dans le rapport… [l’Université] aborder les besoins spécifiques des étudiantes noires en relation avec la violence sexuelle, ce n’est pas clairement mis de l’avant dans le rapport ».
Lorsqu’on fait une recherche par mots-clés dans le document de 97 pages, aucun cas de violence sexuelle n’apparaît dans le rapport. En ce qui a trait aux indemnités, une seule mention des réparations apparaît dans la liste de résultats.
« J’espère qu’avec les excuses officielles, il y aura quelque chose de beaucoup plus significatif, de plus tangible qui va se mettre en place, qu’il y aura aussi davantage d’investissement de ressources », ajoute Niemi.
Asli Isaaq, coordinatrice des affaires académiques de la CSU, affirme que si elle et d’autres collègues du syndicat étudiant ont été invité.e.s par courrier électronique à la présentation des excuses par le recteur – de même qu’à une réunion du personnel de l’Université, certaines personnes n’ont pas été autorisées à assister à l’événement, parce que leur nom ne figurait pas sur la liste des invité.e.s.
Alors que son collègue blanc a été autorisé à assister à l’événement, Isaaq, une étudiante noire portant un hijab, s’est vue refuser l’entrée.
« Les deux femmes blanches à l’entrée ont exclu l’une des seules représentantes des étudiant.e.s noir.e.s, a déclaré Isaaq. S’il s’agit d’un groupe de travail sur le racisme anti-Noir.e.s, il est certain que dans la salle, tout le monde est bien conscient de la signification de ce type d’excuses, mais si cette situation ironique s’est produite, le message résonne-t-il réellement dans la communauté de Concordia ? »
Les représentant.e.s de la CSU invité.e.s à la réunion ont choisi de quitter les lieux après avoir appris que certain.e.s de leurs membres n’avaient pas été admis.e.s. Après leur départ, un organisateur de l’événement a appelé Isaaq, pour l’inviter à nouveau, mais elle a décidé de ne pas y revenir.
« Quand on vous exclut de quelque chose, parfois vous devez juste choisir votre dignité et partir, a déclaré Isaaq. C’était très irrespectueux ».
Luttes décoloniales
Initiée en réponse au silence persistant de l’établissement à la suite de la dénonciation d’un professeur faisant échouer systématiquement les étudiant.e.s noir.e.s, l’occupation des locaux du laboratoire d’informatique se termine par une violente répression policère le 11 février 1969.
Victimes de cette répression, certain.e.s des étudiant.e.s arrêté.e.s vont devoir passer des mois en prison. C’est le cas d’un étudiant d’origine martiniquaise qui passe plus d’un an derrière les barreaux, Roosevelt Douglas. Une fois de retour dans son pays natal, celui-ci devient sénateur et président de la Martinique. Originaire des Barbades, Anne Cools passe quatre mois en prison. Plus tard reconnue pour ses réalisations en travail social, elle se trouve nommée sénatrice à Ottawa.
Assurément, l’action étudiante s’inscrit dans un mouvement international qui bat son plein dans les années 1960. Au-delà des combats ayant lieu au Québec, elle comporte des liens avec les luttes de décolonisation qui se développent dans de nombreux pays ainsi qu’avec l’essor du Black Power aux États-Unis.
Souvent absent des récits des mouvements sociaux au Québec, il s’agit d’un chapitre d’histoire essentiel et évocateur d’enjeux actuels qui s’exprime aujourd’hui à l’Université Concordia.
Cet article a été publié initialement en anglais.