Tarik Chabab ne veut pas passer pour un «chialeux», mais il en a gros sur le coeur. Le nom de ce père de famille est apparu à quelques reprises au cours des dernières semaines puisqu’il héberge depuis peu sa belle-mère Galyna, 75 ans, une ressortissante qui a fui la guerre en Ukraine dans la maison familiale de Trois-Rivières. Si sa belle-mère est maintenant hors de danger, il semble que l’aide pour favoriser son intégration à sa communauté d’accueil ne se déroule pas comme il l’aurait souhaité avec la principale ressource en région, le Service d’accueil des nouveaux arrivants (SANA), si bien qu’il estime «s’être accompagné tout seul».
Le Trifluvien, lui-même immigrant du Maroc, estime qu’il n’obtient pas satisfaction de la part du SANA Trois-Rivières. Délai de traitement et réponses imprécises de la part de l’équipe en sont les principales raisons. Quand sa conjointe Maryna a rencontré un membre du SANA dernièrement, la ressortissante serait repartie avec une tuque, un chèque de 75$ pour l’achat de vêtements et des échantillons de produits d’hygiène corporelle. «Quelques millilitres de shampooing et un petit savon. Pour moi, c’est pire qu’une insulte! On n’a pas eu de réponses concrètes à nos questions. Beaucoup de formulaires à remplir, mais comment on a de l’aide pour trouver un appartement par exemple? Rien de concret jusqu’ici, je suis vraiment déçu…», confie-t-il au Nouvelliste.
Tarik Chabab ajoute avoir fait de nombreuses démarches et coups de fil pour connaître la trajectoire d’accompagnement idéale à emprunter en vue de l’arrivée du membre de sa famille, avant de joindre l’organisme.
«Partout, les organismes terrain se renvoient la balle. Sérieusement, c’est épouvantable… Mais un refrain qui revient: le SANA. Pourtant, je ne trouve pas le soutien que je recherche. Peut-être que j’ai trop d’attentes?», poursuit-il, un peu dépassé par les événements.
Lui-même a déjà été bénévole auprès de l’organisme qui vient en aide aux nouveaux arrivants. Il a même offert dès les premiers instants son aide à nouveau à l’équipe pour des services de traduction, en vue de l’arrivée de ressortissants puisqu’il sait s’exprimer en russe. «J’ai voulu solliciter une seconde rencontre avec le SANA pour Galyna pour qu’on explore d’autres pistes d’aide. Je me suis dit que j’allais tenter d’être plus précis, plus patient. J’étais prêt à prendre congé pour cette rencontre, mais ça n’a pas été possible. On m’a dit au téléphone de valider le statut de ma belle-mère auprès du gouvernement, qu’on ne peut pas traiter mon dossier sans certaines réponses du gouvernement sur son statut. On me renvoie faire des devoirs, encore», déplore M. Chabab.
Le directeur général du SANA Trois-Rivières Yvan Suaza souligne que son équipe ne peut pas en effet remplir les formulaires au nom de leurs usagers. «C’est très clair là-dessus. On donne les formulaires et l’information, mais nous ne sommes pas des consultants en immigration. Par contre, on révise ensuite voir si tout est dans les bonnes cases ou s’il manque un élément.» Il ajoute que toutes les mesures gouvernementales ne sont pas encore mises en place pour l’accueil des ressortissants ukrainiens. «Les informations rentrent au compte-goutte…», concède monsieur Suaza. Il ajoute être en contact quasi quotidiennement avec le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’intégration (MIFI) histoire de valider les directives et leur application. «C’est un casse-tête énorme, la situation nous a pris par surprise. On fait de notre mieux.»
Des directives fluctuantes qui génèrent de l’insécurité
Kateryna Chernetska et sa famille, basés à Shawinigan, ont aussi vécu une situation particulière récemment. La famille accueille depuis peu Valentyna, la mère de Kateryna, qui a, elle aussi, quitté son pays à la suite de la guerre qui sévit. «On s’est rendu sur place, au SANA Shawinigan, mais une employée nous a dit que nous devions passer par le SANA de Trois-Rivières. On s’est donc rendu là-bas et on a pu recevoir des services comme le bilan de santé. Mais voilà qu’on nous redirige maintenant vers le SANA de Shawinigan», raconte la mère de famille. Elle confirme, elle aussi, que la question du statut de sa mère est problématique et semble mettre un frein au soutien proposé.
«Ma mère a un statut de visiteuse avec le programme humanitaire spécial du gouvernement. Il ne donne pas droit à certains services offerts aux réfugiés. Elle ne peut obtenir pour l’instant un statut du réfugié, on s’est informé. On est donc en attente là-dessus. On m’a dit qu’il faudrait prendre notre temps. C’est insécurisant pour nous, mais bon… On n’a pas trop le choix de vivre avec», laisse tomber madame Chernetska.
Lors de l’appel du Nouvelliste, elle était d’ailleurs en pleine séance de magasinage dans une friperie avec sa mère afin de lui trouver quelques vêtements à porter. «Elle a besoin de repartir à neuf. On essaie de lui trouver des pantalons, des souliers pour l’été qui arrive, ce genre de choses. Disons qu’elle n’a pas trop la tête à ça», observe-t-elle.
Au MIFI, on convient que les directives sont évolutives dans le dossier et peuvent parfois mener à de la confusion sur le terrain. Toutefois, on indique que les organismes pouvant offrir de l’accompagnement aux ressortissants sont les suivants: le Service d’accueil des nouveaux arrivants (SANA) de Trois-Rivières, le Service d’accueil des nouveaux arrivants (SANA) de Shawinigan, le Service d’accueil des nouveaux arrivants (SANA) de la MRC de Maskinongé, ainsi que le Carrefour Emploi Haut Saint-Maurice. On mentionne également que les services de ces ressources reposent foncièrement sur l’information et le référencement à d’autres ressources. «L’accompagnement peut prendre la forme de l’aide à la recherche d’un logement permanent ou l’orientation de la personne vers les ressources, services et programmes offerts, notamment en matière de logement, de santé, d’emploi, de services sociaux, d’éducation», précise Emilie Vézina, des relations médias du ministère. Il y a quelques jours, le MIFI annonçait qu’un nouveau soutien en santé, soit une carte d’assurance-maladie temporaire et de l’aide financière de dernier recours étaient désormais offerts aux ressortissants.
Tarik Chabab se dit tout de même déçu d’entendre sur plusieurs tribunes que les sous pour aider le peuple ukrainien sont versés au SANA dans la région, alors que l’organisme n’est pas en mesure de défrayer des coûts qui seraient en mesure d’aider directement les familles comme une aide financière pour la location d’un logement ou encore le remboursement du billet d’avion pour son arrivée. «Si on me disait qu’on ne peut pas, je ne serais pas fâché, je comprendrais. Mais là, le Canada a levé la main, il a débloqué des fonds. On se dit prêt à accueillir des ressortissants, mais que leur offre-t-on réellement? Du savon et une tuque?», questionne-t-il encore. De son côté, Galyna se montre résignée. Elle a confié à son gendre que ce type d’aide du gouvernement prenait souvent du temps avant de se concrétiser.
Désireux par exemple d’inscrire sa belle-mère au cours de francisation, un service du SANA, l’équipe n’a pas semblé répondre favorablement à ses attentes en terme de logistique. «Je ne pourrai pas la déplacer chaque fois, je pensais avoir du soutien pour le transport. Ma femme et moi travaillons, on doit prendre soin des filles. On ne semble pas avoir compris le besoin des familles à travers certains services.» Le père de famille veut tout de même nuancer ses propos. «Dans mes démarches, je suis tombé sur des personnes avenantes qui écoutaient et qui avaient des outils concrets pour moi comme à la direction régionale du MIFI. Mais, on dirait que je m’attendais à plus… Je me suis accompagné tout seul, au final.»
L’importance de nommer les besoins spécifiques
De son côté, le directeur général du SANA de Trois-Rivières explique que le protocole d’accompagnement prévu pour les ressortissants ukrainiens comme pour ceux provenant d’autres pays est déjà établi. Il se dit aussi bien au fait du dossier des deux Ukrainiennes, tout en précisant que le nombre de ressortissants de l’Ukraine se chiffre – à sa connaissance – maintenant à quatre pour son territoire. Chacun ayant déjà des proches en région pour les accueillir.
«Le ressortissant ou sa famille doit nous aviser de son arrivée. Ensuite, on prévoit ensemble un rendez-vous pour lui ouvrir un dossier. Un membre de l’équipe analyse la situation spécifique de la personne. Les besoins varient d’un cas à l’autre, nécessairement. On tente de s’adapter aux besoins de chaque famille. Quand une situation est urgente, on accélère le processus», soutient-il. Il s’est d’ailleurs montré surpris d’apprendre le discours de monsieur Chabab, alors qu’il confirme qu’un membre de son équipe a bel et bien pris Galyna en charge.
Gestionnaire au SANA de Shawinigan Marie-Claude Brûlé parle elle aussi de quatre ressortissants de l’Ukraine arrivés sur son territoire à la suite de la guerre. À ce stade, elle précise que la proportion de nouveaux arrivants venant de ce pays est minime au sein du portrait de son organisme. «Tous les services d’accompagnement leur sont offerts ici sur leur territoire. On s’adapte à la réalité de chaque nouvel arrivant. Pour la plupart, les ressortissants de l’Ukraine ont profité d’un regroupement familial ayant déjà des proches ici.» Suivant l’évolution du conflit, Mme Brûlé souligne être en contact hebdomadaire avec le MIFI pour connaître la marche à suivre pour son équipe.
La clinique des réfugiés en opération
Les SANA possèdent divers collaborateurs comme la clinique des réfugiés, opérée par le CIUSSS MCQ. Ce service permet d’assurer une évaluation de santé et de bien-être du patient grâce à l’apport d’une infirmière, d’une travailleuse sociale et d’un médecin sur place. «Cela nous permet de donner une accessibilité aux services et aux soins aux réfugiés, mais aussi aux ressortissants comme les Ukrainiens. On peut offrir de la traduction, une mise à jour du carnet de vaccination, un soutien psychologique, par exemple», explique Julie Michaud, agente d’information pour le CIUSSS MCQ, sur cette clinique qui existe de façon ponctuelle depuis 2013.
«Je ne peux pas entrer dans tous les détails du dossier, car c’est confidentiel, mais je sais que monsieur Chabab a refusé le bilan de santé proposé. Je ne connais pas concrètement ses attentes, mais on pourra s’en parler. On est là pour aider, évidemment», plaide monsieur Suaza. Concernant le remboursement d’une partie des frais de location d’un logement ou ceux du billet d’avion pour l’arrivée de la ressortissante au pays, le gestionnaire indique que son organisme communautaire ne peut assumer pareils frais et que ces responsabilités ne cadrent d’ailleurs pas dans son mandat.
M. Suaza souligne qu’il est lui-même un réfugié politique. Ex-journaliste, il a fui la Colombie pour offrir une vie de paix à sa famille et s’éloigner des représailles politiques. «Je sais ce que c’est que d’arriver et de devoir repartir à zéro. J’ai eu l’opportunité de compter sur l’appui de la communauté à mon arrivée. C’est le même genre d’accompagnement qu’on veut offrir à ceux qui viendront au SANA», assure-t-il.