Le quart des journalistes travaillant dans les salles de nouvelles du Canada anglais sont issus de la diversité, révèle un récent sondage de l’Association Canadienne des Journalistes. Une situation quasi représentative de la population du pays mis à part au Québec, où les chiffres font défaut.
Plusieurs acteurs de l’industrie médiatique québécoise s’entendent pour dire qu’elle est moins diversifiée que son homologue canadienne.
Un constat que partage Adil Boukind : « ça me fait tellement rire de voir des politiciens parler de diversité devant les journalistes [quand] je sais que je suis le seul photographe de couleur », raconte le photojournaliste français d’origine marocaine, arrivé au Québec en 2008.
Précarité : à quel prix?
Le manque de représentativité et les discriminations sur des bases raciales ou linguistiques ne sont pas les seuls facteurs à décourager les journalistes issus de l’immigration qui souhaitent trouver de l’emploi dans leur domaine.
« Quand tu es dans un pays où ton métier est complètement dévalorisé, ça ne va pas », dénonce M. Boukind, qui juge que le journalisme et le photojournalisme en particulier sont considérés comme des « sous-métiers ». Il se désole aussi de ne pas voir les tarifs de la pige suivre l’inflation.
Après des années passées à travailler comme journaliste indépendante à Montréal, il a fallu attendre son départ pour une province canadienne pour que la carrière de Suzanne* prenne son envol. Mi-trentaine, elle confie qu’il y a uniquement trois ans qu’elle conclut une année fiscale sans se demander « mon Dieu, comment j’ai survécu? ».
Même bilan du côté de Mourad Hachid. À 52 ans, il a dû se résoudre à une reconversion professionnelle en immigrant au Canada. « J’avais espoir de continuer dans le métier […] mais j’ai fini par admettre que je n’étais pas assez acharné », confie celui qui s’est vite rendu à l’évidence : à moins de travailler pour de grosses rédactions comme Radio-Canada ou La Presse, les salaires sont insuffisants pour assurer à sa famille une qualité de vie convenable.
Une précarité financière aggravée par la contraction économique provoquée par la pandémie de Covid-19, comme le démontre L’État des lieux en 2020 du Centre d’études sur les médias.
Réseautage et surqualification
Si les salaires sont plus intéressants pour les employés de l’industrie médiatique, accéder à un poste titularisé peut être particulièrement difficile pour les journalistes issus de l’immigration.
Suzanne ne compte plus les entretiens d’embauche infructueux. « Ce qui est clair, dit-elle, c’est que tout s’est débloqué pour moi une fois que j’ai eu un contact avec quelqu’un » qui soit bien placé au sein de la rédaction réputée pour laquelle elle travaille aujourd’hui. « Je me suis souvent sentie à l’écart », ajoute-t-elle, soulignant les écueils rencontrés avant de pénétrer le milieu journalistique québécois et de tisser son propre réseau de contacts.
Des contacts dont sont souvent dépourvus celles et ceux qui ont étudié et/ou pratiqué la profession à l’étranger avant d’immigrer au Canada.
En ce qui concerne son intégration, Mourad Hachid note quant à lui « un certain décalage entre l’offre et la candidature ». Avec trois décennies d’expérience en poche, l’ex-directeur de contenu des pages politiques et journaliste au premier quotidien francophone d’Algérie estime être « surqualifié » pour intégrer les salles de presses d’ici.
« J’étais pris face à un dilemme », se rappelle-t-il : entre assumer une fonction pour laquelle il juge être surqualifié ou un poste de direction qui réclame, d’après lui, une bonne connaissance de l’industrie médiatique québécoise, M. Hachid a choisi de renoncer à son métier, à sa passion.
Déceptions
Il est loin d’être le seul à avoir considéré le changement de carrière. Pas plus tard que l’été dernier, Adil Boukind a envisagé de tout abandonner.
Collaborateur régulier au journal Le Devoir, il reconnaît avoir une situation bien plus privilégiée que la plupart de ses collègues photojournalistes à la pige. « Je ne sais pas si c’est parce que je vais bien que je devrais être satisfait, alors qu’il y a tellement de gens qui gagnent mal leur vie comme photographe », nuance-t-il.
À 32 ans, il se dit « arrivé à saturation ». Se laissant aller à la comparaison entre les milieux médiatiques québécois et français, le verdict est sans équivoque : « je ne me vois pas faire ma vie ici, clairement », affirme M. Boukind. En plus de la précarité et du manque de valorisation de la profession, il se dit déçu du manque d’intérêt et de couverture de l’actualité internationale par les médias de la Belle province.
Celle-ci occupait 7,84% de l’espace médiatique québécois en 2019, contre près du triple pour les sports, selon la firme Influence Communication. Cela s’explique par le faible intérêt que démontrent les médias canadiens envers les enjeux internationaux, d’après certains experts qui espèrent la mise en place d’un véritable service mondial chez Radio-Canada.
L’ouverture sur le monde semble néanmoins plus importante en Ontario, à en croire le photojournaliste Andrej Ivanov, qui souligne le rayonnement de certains médias ontariens comme le Toronto Star ou le Globe and Mail.
Comme son collègue, M. Ivanov ne se voit pas rester à Montréal bien longtemps. Prochaine étape de son parcours professionnel, si la situation sanitaire le permet : sa Serbie natale, là où de nouvelles histoires attendent d’être racontées.
*Prénom modifié
Cet article est basé sur les résultats de la première étude canadienne sur les conditions socio-économiques des journalistes immigrés et réfugiés de première génération, actuellement en cours.
Veuillez remplir notre sondage sur les journalistes immigrés et réfugiés ici.