Face à la crise et au désespoir, la migration est omniprésente au Liban. Ceux qui le peuvent font tout pour partir, avec un visa ou par bateau pour demander l’asile en Europe. Et les autres ne sont autorisés qu’à en rêver.
Guy n’a pas attendu la crise pour prendre cette décision. Déjà avant, nombre de jeunes quittaient le Liban pour une meilleure éducation ou un meilleur travail. Mais aujourd’hui, c’est devenu urgent, voire vital.
« Je veux un endroit sûr où habiter », déclare ce chef de projet en marketing digital, qui a souhaité rester anonyme. Dans un café de Beyrouth, il raconte qu’il attend impatiemment sa résidence permanente pour aller vivre au Québec; il a déposé sa demande en avril 2020. « Tous mes amis sont partis ou sont sur le point de partir. Ici, il n’y a plus d’État, plus de stabilité, plus de dignité », déplore-t-il.
Ainsi se résume la vie de la majorité de la population libanaise, dont 80% est sous le seuil de pauvreté depuis le début d’une crise multidimensionnelle. Le nombre d’émigrants a augmenté de 346% entre 2020 et 2021, selon le centre de recherche libanais Information International.
Ils partent pour retrouver une vie stable et décente. « On n’est pas traités comme des êtres humains au Liban », affirme Guy. Beaucoup diront que ce n’est pas vraiment un choix, car s’ils pouvaient, ils resteraient dans leur pays et élèveraient leurs enfants chez eux.
« On prend l’option la plus accessible et la moins risquée pour le futur : la première porte qui s’ouvre, le premier vol, le premier navire et on s’y tient, jusqu’à s’établir et avoir vraiment le choix de rester ou de changer de pays ou de province », nous envoyait un Libanais désirant rester anonyme en réponse à un appel à témoignages. Et pour une certaine partie de la population, cette option est le Canada ou le Québec.
Migrer pour fuir l’intenable
Si les Libanais ont toujours migré au fil des conflits et des tensions, la crise économique qui sévit au Liban depuis 2019 pousse désormais de nouvelles franges de la population vers l’étranger, comme les travailleurs des secteurs de la santé, l’éducation ou d’autres domaines très spécialisés et qualifiés. Plus de 10 000 enseignants ont déjà quitté le pays et c’est sans compter le fait qu’en 2021, 77% des jeunes comptaient partir.
Vivant confortablement avant la crise, même les franges les plus élevées et éduquées ont vu leur situation se détériorer drastiquement avec la chute de la livre libanaise, qui a perdu 90% de sa valeur à la fin du mois de janvier 2023. Les Libanais souffrent surtout d’une corruption extrême de leurs gouvernements successifs, dont ils demandaient le départ pendant la révolution (thawra) de 2019.
« Il n’y a aucune comparaison entre la vie au Canada et celle au Liban », répond franchement Michel Challita, président directeur général dans son bureau de l’agence IMCA Consultancy à Beyrouth. Fondée par son père Elie Challita et spécialisée dans la migration au Canada, l’agence accompagne surtout des familles, soit environ 70% de sa clientèle. « Les gens migrent principalement pour leurs enfants », expliquent Elie et Michel Challita.
«Pays numéro 1»
« Le Canada est le pays numéro 1 où il vaut mieux immigrer, ce n’est pas un secret », affirme Michel Challita. Il met en avant le fait qu’avec la qualité de vie qu’il offre et l’accessibilité de la citoyenneté, le Canada est très attrayant pour les Libanais, s’ils correspondent aux critères de sélection pour la résidence permanente ou qu’ils ont les fonds nécessaires pour étudier. « Il y a peu de demandes de visa de travail, car trouver un emploi au Canada depuis le Liban est quasiment impossible », explique le consultant. De même pour les études, qui coûtent très cher pour eux.
Avant la crise, les Libanais voulaient globalement le passeport canadien pour avoir le choix, au cas où quelque chose se passait dans leur pays natal. Aujourd’hui, c’est une nécessité et revenir n’est plus une option. « Maintenant, ils partent pour travailler et avoir une meilleure vie », explique Michel Challita.
En 2022, 4 085 Libanais ont obtenu la résidence permanente, soit presque le triple qu’en 2018, selon les données transmises par le ministère de l’Immigration canadien.
Recommencer à zéro
Nada a été enseignante de français pendant plus de 25 ans à Beyrouth. Avec la dévaluation de la monnaie, elle ne gagnait plus que 90$, au lieu de 2500$ avant la crise. « J’ai 47 ans et je recommence à zéro », partage-celle qui préfère n’utiliser que son prénom.. Elle raconte n’avoir eu d’autre choix que de quitter son pays pour vivre normalement. « J’avais deux choix : attendre ou avancer. Je ne pouvais pas craquer et montrer ce modèle à mes enfants, donc je suis partie », poursuit l’enseignante.
Mais son départ n’a pas été sans épreuves. Plutôt que le Québec, Nada avait choisi la France. « J’y ai fait un master, mais, après, personne ne t’aide à trouver un travail là-bas », regrette-t-elle. Nada s’est ensuite dirigé vers le Québec, où les études « sont chères », mais où il est possible d’évoluer, de s’installer. « J’ai aussi de la famille ici, ce qui est un vrai plus », poursuit l’enseignante.
Elle a donc commencé un DESS en technologie de l’éducation et obtenu sa résidence permanente en janvier dernier. Elle s’est installée avec sa plus jeune fille chez sa sœur qui vit à Montréal. Son mari et leurs deux autres enfants sont encore au Liban. « J’aimerais qu’ils viennent, mais c’est cher. On n’est sûrs de rien… », confie-t-elle.
Si le déracinement et le déchirement de sa famille sont douloureux, Nada reste « positive et déterminée » à vivre au Québec. Tout plutôt que sa vie d’avant.
Pragmatisme
Pour Nada, le Québec s’est vite imposé grâce à sa langue nationale. Comme beaucoup d’autres Libanais, elle a reçu son éducation en français et le choix a été naturel. « Je ne maîtrise pas l’anglais et mes proches vivent tous dans des régions francophones », explique-t-elle.
Au-delà de la langue, c’est aussi la culture québécoise à cheval entre l’Europe et l’Amérique du Nord qui peut attirer les Libanais.
Seulement, cet attrait pour le Québec n’est pas donné à tout le monde. Avec ses politiques d’immigration plus sélectives encore que le Canada et l’exigence du français, le Québec attire une certaine catégorie plus favorisée de la population. Sans oublier les délais d’attente pour les demandes de résidence permanente, très longs comparés aux autres provinces et territoires du Canada.
« Peu choisissent spécifiquement le Québec, seulement ceux qui parlent français, car les gens veulent partir, peu importe où au Canada, et mettre toutes les chances de leurs côtés », explique Michel Challita de IMCA Consultancy.
Pour les Libanais fuyant la crise, l’immigration reste avant tout un choix pragmatique, qui les suivra jusque dans leur intégration. Ils n’optent pas forcément pour le Québec parce qu’ils en rêvent, mais bien pour le français, son accessibilité et son côté sécuritaire.
Note de la rédaction : Nous croyons que les citations et les exemples avec des noms réels ont plus de poids, donnent de la crédibilité au reportage et augmentent la confiance du public dans New Canadian Media. Cela dit, il arrive que les journalistes aient besoin de sources confidentielles pour servir l’intérêt public.