Malgré la mise en place de programmes gouvernementaux et d’initiatives de soutien pour la reconnaissance de la formation et des compétences des diplômés étrangers, les professionnel.le.s de la santé formé.e.s hors Canada continuent de rencontrer de nombreuses embûches pour accéder au marché du travail.

En privilégiant l’immigration temporaire comme voie d’obtention de la résidence permanente, le gouvernement ralentit l’intégration de ces professionnel.le.s qui pourraient contribuer à pallier la pénurie de main-d’œuvre dans le système de santé.

Un détour évitable

Caressant le rêve de s’établir de façon permanente au Québec, Juliana Tirado est arrivée au Québec en tant qu’étudiante internationale au printemps 2019 avec son mari et ses enfants.

Comptant douze ans d’expérience comme infirmière au Brésil, Mme Tirado souhaitait accéder à un poste d’infirmière après l’obtention de son diplôme d’études professionnelles en santé, assistance et soins infirmiers au collège CDI à Montréal. Or, le chemin s’est avéré complexe pour la mère de famille originaire de Sao Paulo, détentrice d’un permis de travail postdiplôme.

J’ai été prise dans un long processus dans un domaine où j’ai déjà beaucoup d’expérience. Le système est complexe et contradictoire.  Juliana Tirado, infirmière originaire du Brésil

Mme Tirado a d’abord travaillé comme préposé aux bénéficiaires pendant ses études, puis comme candidate à l’exercice de la profession d’infirmière auxiliaire (CEPIA) et candidate à l’exercice de la profession infirmière (CEPI), en attendant de pouvoir passer l’examen professionnel de l’Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec (OIIQ).

«Le gouvernement devrait simplifier la voie pour la résidence permanente et la procédure pour faire reconnaître notre formation et nos compétences», dit celle qui peut crier victoire après avoir réussi l’examen de l’OIIQ cet automne.

Tenant bon depuis trois ans, Mme Tirado exerce pleinement sa profession à titre d’infirmière au département d’hémato-oncologie du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) depuis la mi-novembre.

« Ce n’est pas tout le monde qui est prêt à passer par là. J’ai des collègues de travail qui sont partis à Toronto, découragés, mais je voulais rester ici, je ne voulais pas faire vivre un nouveau déménagement à mes enfants ».

Repartir de zéro

Si Mme Tirado a réussi à se tracer une voie dans son domaine, pour ses amis Ianna Cardoso et Luis Rezende, médecins spécialistes originaires de Sao Paulo, le chemin demeure encore incertain.

Mme Cardoso est arrivée au Québec avec ses trois enfants à l’automne 2018, à titre d’étudiante internationale. Elle a étudié en gestion financière au collège CDI afin d’apprivoiser la langue de Molière, puis a entrepris une maîtrise en sciences pharmaceutiques à l’Université de Montréal, qu’elle terminera en 2023.

C’est comme si tout ce que j’ai étudié et tout ce que j’ai fait dans le passé n’était pas valide, je dois recommencer de zéro. Il y a des médecins immigrants ici qui pourraient et qui voudraient travailler, mais c’est presque impossible de faire reconnaître nos études, les barrières sont élevées. Ianna Cardoso, médecin anesthésiste originaire de Sao Paulo

« J’envisage de travailler dans l’administratif ou dans la recherche », souligne la médecin anesthésiste, qui compte plus d’une dizaine d’années d’expérience au Brésil. Elle devra occuper un emploi pendant un an avant de pouvoir demander un Certificat de sélection du Québec (CSQ).

Quitter le Québec

Arrivé dans la Belle Province trois ans après son épouse et ses enfants, Luis Rezende a obtenu un diplôme d’études professionnelles en soutien informatique à l’Institut Teccart dans le cadre du Programme de l’expérience québécoise (PEQ) d’Immigration Québec.

« J’ai essayé de faire reconnaître mes études et mon expérience mais c’est très difficile», dit l’urologue et chirurgien général qui compte plus de vingt ans d’expérience au Brésil.

C’est frustrant parce que beaucoup de gens autour de moi ont besoin de soins médicaux et de prescriptions et je sais que je pourrais les aider, mais je ne peux pas. Luis Rezende, médecin spécialiste originaire de Sao Paulo

Le père de famille envisage de quitter la province pour exercer sa profession ailleurs au Canada. « C’est plus difficile d’accéder au marché du travail dans le domaine de la santé au Québec qu’ailleurs, mais ce n’est pas facile de quitter [la province] parce que nous avons déjà une vie ici et que notre fille a commencé à étudier en français ».

Réduire les barrières systémiques

Le 5 décembre, le gouvernement fédéral a lancé un appel de propositions pour soutenir des projets qui favorisent l’intégration au marché du travail des professionnels de la santé formés à l’étranger (PSFE).

Les projets admissibles doivent présenter des solutions pour améliorer les processus de reconnaissance des titres de compétences étrangers, fournir aux PSFE une expérience de travail au Canada ou faciliter la mobilité de la main-d’œuvre entre les provinces et les territoires au Canada pour les professionnels de la santé.

« Les projets retenus dans le cadre du Programme de reconnaissance des titres de compétences étrangers contribueront à éliminer les obstacles existants et permettront à de nombreux nouveaux arrivants qualifiés et compétents d’acquérir une expérience de travail au Canada dans les domaines des soins de santé où nous avons le plus besoin d’eux », a déclaré le ministre de la Santé, Jean-Yves Duclos.

L’Association médicale canadienne se réjouit de la mesure lancée par le gouvernement fédéral. « Le système de santé est en crise, les patients et patientes n’ayant pas accès aux soins en temps opportun et les prestataires de soins s’épuisant rapidement […] L’AMC est prête à travailler avec les parties prenantes pour promouvoir un changement systémique qui bénéficiera à la fois aux personnes qui reçoivent des soins et à celles qui les leur fournissent ».

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L’Ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec (OIIQ) a reçu 576 demandes de reconnaissance de l’équivalence d’un diplôme ou d’une formation reçue hors Canada au cours de son exercice 2021-2022.  

Selon un rapport publié en 2020 par Statistique Canada, 47% des nouveaux arrivants qualifiés qui ont fait des études dans le domaine de la santé à l’étranger sont sans emploi ou sous‑employés dans des emplois non liés au secteur de la santé, qui requièrent seulement des études secondaires.

Le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration du Québec a mis sur pied en 2017 le portail de reconnaissance des compétences Qualifications Québec, afin d’aider les personnes candidates à l’immigration ainsi que les personnes immigrantes à faire reconnaître leurs compétences au Québec, quel que soit le lieu où elles les ont acquises.

Diplômée en administration des affaires (ITESM, Mexique), enquête et renseignement et journalisme (UdeM), Karla Meza débute sa carrière comme journaliste indépendante en 2019 s’intéressant davantage...