Texte écrit en collaboration avec Clément Lechat et Pierre Michaud.
Les immigrants francophones qui ont choisi de s’installer dans le nord du Canada dans le cadre d’un programme spécial du gouvernement fédéral sont enchantés par l’esprit de communauté qui règne là-bas. Mais, force est de constater que vivre en français dans des milieux très majoritairement anglophones comporte de nombreux défis. Iqaluit au Nunavut, Yellowknife dans les Territoires du Nord-Ouest et Whitehorse au Yukon font partie des 14 destinations sélectionnées par le gouvernement fédéral pour accueillir les nouveaux arrivants francophones.
Le premier défi n’a rien à voir avec la langue. Iqaluit c’est le grand nord. La ville est isolée du reste du pays, ce qui augmente considérablement le coût des marchandises et peut avoir des conséquences néfastes sur la santé mentale en raison des conditions météorologiques extrêmes.
S’ajoute à cela pour les immigrants francophones l’accès au services en français. De nombreux services essentiels à la vie quotidienne sont insuffisants, ce qui entrave la capacité des francophones à mener une vie épanouie dans leur langue. Un exemple important: l’accès à des services de garde d’enfant en français est assez limité. Il n’y a qu’une seule garderie francophone.
Prenons l’exemple de Denise Dedem, qui est arrivée au Nunavut de Cameroun, pour rejoindre son mari il y a environ deux ans. Elle se souvient des difficultés auxquelles elle a été confrontée quand elle a voulu inscrire son enfant à la garderie.
“Ce n’était vraiment pas facile, car je devais à la fois travailler et m’occuper de mon fils. Quand je suis arrivé dans toutes les garderies, ils m’ont tous dit ‘non’ car la liste d’attente était très longue, et je n’avais donc pas d’autre choix que d’essayer plus tard.
N’ayant aucune place disponible, Denise et son mari n’ont eu d’autre choix que d’opter pour les soins à domicile, un service qui n’est pas gratuit. Il n’y a également qu’une seule école de langue française à Iqaluit.
“C’était vraiment un défi, mais je suis heureux de ce que j’ai appris de cette expérience,” dit-elle. “Il y a des gens qui arrivent ici et qui viennent vers moi parce qu’il n’y a pas de place pour s’occuper de leurs enfants. Après votre arrivée, vous êtes inscrit sur une liste d’attente, puis vous devez attendre longtemps avant qu’une place se libère. Bien sûr, il existe aussi des centres anglophones, mais c’est vrai qu’y envoyer ses enfants n’est pas la solution idéale.”
Carrefour Nunavut est une organisation francophone qui aide les immigrants à s’installer à Iqaluit, en fournissant des services tels que l’emploi, la formation linguistique, le réseautage, et l’entrepreneuriat. Des organismes comme celui-ci constituent l’élément vital des activités communautaires à Iqaluit: Il n’y a qu’environ 1 110 francophones dans la ville, et comme les membres de familles se trouvent à plusieurs milliers de kilomètres, il est important de créer des liens communautaires solides.
Après avoir obtenu son diplôme universitaire à Chicoutimi, QC, Cédric Samy Yann Kam a décidé de tenter sa chance à Iqaluit et s’y est installé il y a environ huit mois. Il travaille comme adjoint exécutif et directeur des communications chez Carrefour Nunavut.
“Parce que nous sommes une petite communauté, cela signifie que nous nous voyons beaucoup. Ce n’est pas comme à Montréal, par exemple, où tu te lèves le matin et tu ne connais pas tes voisins,” explique Kam, originaire du Burkina Faso.
“D’autant que nous sommes francophones, nous ne sommes pas nombreux,” ajoute-t-il. “Nous organisons des évènements tout le temps…il existe de nombreuses organisations qui organisent des évènements et nous nous rencontrons tout le temps. C’est ce qui nous aide à surmonter ensemble les défis : être loin du sud, loin de tout le reste.
Mehdi Lamy, conseiller en développement économique et tourisme de l’organisation, a troqué le Paris cosmopolite pour Iqaluit, venant au Canada avec un permis vacances travail de deux ans.
“Lorsque j’ai déménagé dans une petite ville d’environ 8 000 habitants, mes collègues me disaient des choses comme ‘faites attention,’, ‘pourquoi vas-tu là-bas?’, et ‘il n’y a rien à faire là-bas’,” dit-il. “Main l’environnement ici est excellent, et nous sommes à trois heures de vol à Ottawa, donc ce n’est pas si mal.
“Chaque fois qu’un francophone vient au Nunavut, il sait qu’il y a ici un organisme prêt à l’accueillir. Dans les territoires, vous gagnez environ 80 000$, et vous recevez environ 10 000$ pour le coût de la vie. La plupart des employeurs proposent également des billets d’avion aller-retour.
“Il y a des projets de construction qui sont prévus pour les années à venir, pour augmenter la capacité d’accueil des résidents ici», a déclaré Callista Emesong, responsable de l’employabilité et de l’immigration à Carrefour Nunavut, venue du Cameroun il y a un an. « Ils font des études de faisabilité pour qu’il y ait le plus de constructions possible. C’est vrai que le coût de la vie est cher, le loyer aussi. Donc, si le gouvernement décide de construire davantage pour nous, il y aura davantage de possibilités de réduire les coûts. “
Au Yukon, le français un peu plus présent
Plus à l’ouest, au Yukon, le dynamisme du français semble être plus favorable aux membres de la communauté.
Florian Bosc, un Français installé à Whitehorse, raconte avoir été surpris de la présence de la langue dans les rues de la capitale yukonnaise, lorsqu’il est arrivé il y a deux ans et demi.
« Je n’aurais jamais imaginé qu’il y ait autant de francophones », raconte le développeur web, qui travaille à distance pour une entreprise de Chicoutimi.
La langue française se porte mieux au Yukon qu’au Nunavut et que dans les Territoires du Nord-Ouest, selon le recensement de 2021. Parmi ses 40000 habitants, près de 2000 déclarent avoir le français comme langue maternelle. Signe du dynamisme de la communauté, cette proportion a augmenté de 15% entre 2016 et 2021.
Le Yukon affiche aussi le troisième taux de bilinguisme français-anglais le plus élevé au Canada. Le territoire se classe derrière le Nouveau-Brunswick et le Québec, avec 14,2% de sa population pouvant s’exprimer dans les deux langues officielles.
Malgré ces données, les nouveaux arrivants francophones au Yukon font face à de nombreux défis, parmi lesquels « la crise de logement, la reconnaissance des diplômes, l’accès aux services en français, notamment les services médicaux », énumère Diana Romero, gestionnaire en immigration à l’Association franco-yukonnaise.
Pour faire face à ces épreuves tant bien que mal, cet organisme offre des services d’aide à l’établissement et des sessions d’information sur la vie au Yukon.
Comme beaucoup d’autres à Whitehorse, Florian Bosc a lui été confronté à la crise du logement lors de son arrivée. « Le logement est assez cher, c’est un gros point noir du Yukon », raconte-t-il.
Il a cependant été chanceux en ce qui concerne les services médicaux en français. Bien qu’il se débrouille en anglais, il n’est pas parfaitement bilingue. Il a pu s’inscrire dans une clinique médicale de Whitehorse offrant des rendez-vous médicaux en français, la langue dans laquelle il est le plus à l’aise.
Malgré une certaine connaissance du français au sein de la population anglophone, l’inclusion des francophones dans tous les domaines n’est pas parfaite, selon M. Bosc, notamment dans un secteur qui lui tient à cœur : le cinéma.
Ce passionné pointe du doigt l’absence de séances en français et de films sous-titrés en français dans les salles de Whitehorse. Pour attirer l’attention sur ce problème, il a lancé une pétition en ligne en novembre 2023. Le texte a pour le moment recueilli 49 signatures.
Une plus grande présence du français dans les salles de cinéma permettrait de soutenir la diversité culturelle et de « renforcer le sentiment d’appartenance et l’inclusion au sein de notre communauté multilingue », estime l’auteur de la pétition.
C’est d’ailleurs à travers le septième art que Florian Bosc a découvert le Yukon. Lorsqu’il était encore étudiant en cinéma à Paris, le film Le dernier trappeur l’a particulièrement marqué.
« J’ai pris une claque », raconte-t-il, alors ébloui par la beauté de la nature, de la faune et des grands espaces. « Une graine s’est plantée […] avec les années j’ai toujours cultivé cette idée [d’y vivre] ».
Aujourd’hui, Florian Bosc est passé de l’autre côté de l’écran. Ce nouvel acteur de la vie franco-yukonnaise espère que sa pétition trouvera de l’écho auprès de la communauté.
Suite à son initiative, il a pu entrer en contact avec la Yukon Film Society, une organisation sans but lucratif dédiée au développement du secteur. Il estime néanmoins que le chemin sera encore long avant d’entendre le français résonner dans les salles de son territoire d’adoption.
Malgré les défis de la vie dans le Nord, que ce soit du côté du logement ou de la langue française, Florian Bosc ne regrette pas sa décision. « Aucun lieu n’est parfait. Il y aura toujours des avantages et des inconvénients ».
Bien que les immigrants francophones manifestent un vif intérêt pour s’installer dans le nord du Canada, il reste encore beaucoup à faire pour qu’ils se sentent véritablement chez eux.