Après plus de cinq ans d’attente, Betty Baguidy s’est réunie de nouveau avec son mari depuis la fin du mois de novembre dernier, juste avant les fêtes de fin d’année. Ce n’est toutefois pas grâce à la diligence des autorités d’immigration, mais à travers une demande d’asile formulée par son époux, dont la vie était menacée entre-temps en Haïti.
Jacques D. a fui le pays pour les États-Unis depuis plusieurs mois et a pu atteindre la frontière canadienne pour présenter sa requête et, du même souffle, retrouver sa femme. Il a été gardé pendant trois jours à la frontière aux fins d’enquêtes, ce qui a été « éprouvant » pour lui. « Mais c’était le prix à payer pour nous réunir après tant de temps », dit-il.
Depuis la fermeture du chemin Roxham (un passage irrégulier), en mars 2023, à la suite de la visite du président américain Joe Biden, les demandeurs d’asile ayant de la famille immédiate (oncle, père, mère, frère, époux) au Canada peuvent produire leur requête à même un poste frontalier régulier. Il s’agit d’une exception à la nouvelle Entente sur les pays tiers sûrs (EPTS).
Dans le cas de Jacques D., son processus de résidence, qui était à un point avancé, tombe de lui-même et est remplacé par sa demande d’asile. Il avait déjà pourtant obtenu le Certificat de sélection du Québec (CSQ), véritable résidence permanente de la province. Sa femme avait dû le renouveler, le CSQ, à plusieurs reprises et surtout refaire l’examen médical à plusieurs reprises.
Il débute un nouveau marathon pour l’obtention de la résidence qui pourrait prendre un autre cinq ans, mais cette fois, avec sa douce à ses côtés.
Épuisant et coûteux
Tony François est arrivé au Canada comme demandeur d’asile en 2017, en passant lui aussi par les États-Unis. Sa femme et ses trois enfants sont restés en Haïti. Quatre ans plus tard, en 2021, il obtient la résidence et produit sur-le-champ une demande de parrainage de sa famille.
Sa demande, comme dans le cas de Betty Baguidy, est acceptée et il a obtenu le CSQ pour les quatre membres de sa famille depuis deux ans. Les aspirants à l’immigration au Canada doivent subir des examens médicaux avant de venir au pays, et les résultats ne sont valables que pour un certain temps.
« Mes trois enfants et ma femme ont déjà subi des examens médicaux trois fois, indique Tony François. À chaque fois, c’est 1 090 dollars pour les quatre : 3 270 dollars. Je crains devoir les refaire une quatrième fois, car le document expire en mars prochain. »
Tony François dit craindre pour la vie de sa famille en raison d’un climat d’insécurité qui n’épargne personne en Haïti, alors qu’il a déjà tout fait pour les retrouver au Canada.
Arrivée d’Haïti au Canada en 2017, également comme demanderesse d’asile, Venithe Candé a non seulement obtenu sa résidence, mais travaille comme préposée aux bénéficiaires dans le système de santé au Québec. Depuis un an et demi, elle attend son mari et leur fils, coincés au pays. Ces derniers ont en main leur CSQ et un examen médical qui expire bientôt.
« Je vais devoir refaire l’examen médical, dit-elle, car cela fait plus de six mois qu’ils l’ont fait. »
Le fédéral ou Québec ?
Les délais en matière d’immigration ont explosé au Québec (seule province qui dispose de la prérogative de choisir ses immigrants) si on compare au reste du Canada.
On parle de 42 mois en moyenne au Québec contre 12 mois ailleurs au Canada pour faire venir sa famille. Cette catégorie connaît le plus haut taux de temps d’attente, soit 38 400 à l’heure actuelle.
Immigration économique : 34 600
Réfugiés et personnes en situation semblable : 36 400
Autres immigrants : 13 000
Cela représente un total de 122 400 personnes en attente de leur résidence permanente au Québec en date du 13 octobre dernier, selon les chiffres du ministère québécois de l’Immigration, obtenus par le député libéral Monsef Derraji.
Québec pointe du doigt Ottawa dans l’accumulation des délais, alors que selon les informations obtenues par plusieurs sources médiatiques, c’est Immigration Québec, elle-même, qui demande au fédéral de ralentir la cadence à environ 10 000 personnes par année.
Québec devrait accueillir 56 500 immigrants permanents par année en 2024 et en 2025, selon le plan qu’a déposé à l’Assemblée nationale la ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Christine Fréchette.
Ce nombre inclut 50 000 admissions usuelles plutôt que les 60 000 envisagées (Nouvelle fenêtre), ainsi que 6 500 admissions « hors cible » pour les étudiants issus du volet « Diplômé du Québec » du Programme de l’expérience québécoise (PEQ).