Des demandeurs d’asile victimes de faux avocats en immigration. Un avocat en immigration qui vous dit : « Avec moi, ce sera simple et rapide » ou qu’il a « des contacts haut placés », qui vous donne rendez-vous dans un lieu public et ne vous remet aucune copie ni document à signer, doit être considéré comme un faux et « Méfiez-vous ! », prévient le Barreau de Montréal. Une campagne de sensibilisation contre ces usurpateurs est lancée au Québec en raison de la hausse vertigineuse de plaintes enregistrées récemment.

Entre 2018 et 2022, le nombre de griefs reçus par le Barreau de Montréal liés à l’immigration est passé de 13 % à 39 %, et « cela ne représente vraisemblablement que la partie émergée de l’iceberg », selon le Bâtonnier, David Ettedgui.

Le bâtonnier de Montréal, David Ettedgui. Photo fournie par le Barreau du Québec.

Pedro (nom fictif) et Loma Louis, deux demandeurs d’asile arrivés au Canada au cours de cette période, l’ont appris à leurs dépens. Pedro a quitté le Chili en 2018 pour Montréal en passant par plus de 12 pays d’Amérique latine. « À mon arrivée, je suis allé à un bureau d’immigration, raconte-t-il en entrevue avec le Média des nouveaux Canadiens (MNC), je lui ai dit que j’étais à la recherche d’un avocat et il m’a dit que oui, il en était un. Alors, je lui ai confié mon dossier. » Il a déboursé plus de 4000 $ et a échoué à son audience à la Commission du statut de réfugiés. Pedro va apprendre qu’il n’est en réalité pas un avocat lorsqu’il lui a demandé de présenter une demande de résidence pour des raisons humanitaires en son nom. « Il m’a dit : va voir un avocat ! », se souvient le demandeur d’asile qui affirme avoir été bouleversé.

Frauder le gouvernement

Loma Louis a été, quant à lui, redirigé vers Niagara en Ontario depuis le chemin Roxam par où il a traversé la frontière avec les États-Unis. Il est accompagné de sa femme et de leurs quatre enfants. Un faux avocat de Toronto qui utilise un cabinet avec pignon sur rue a pris son dossier en main et lui a dit qu’il acceptait l’aide juridique. Il récupère son code qui permettra au gouvernement de lui verser ses honoraires pour six personnes. « Mais il ne m’a donné aucune preuve, aucun reçu et le dossier n’est jamais parti malgré les promesses qu’il nous avait faites et les appels téléphoniques logés à son cabinet », déplore M. Louis. En avril 2023, le demandeur d’asile quitte Niagara pour Montréal où il s’est pris un autre avocat qui lui coûte plus de 4000 dollars.

« J’ai porté plainte contre cet homme à l’IRCC (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada) », indique Frantz André, accompagnateur de demandeurs d’asile pour l’organisme Promis. Selon lui, le cabinet semble exister réellement, mais serait de mèche avec le faux avocat. « J’ai tenté de contacter l’avocat principal au bureau de Toronto, mais je n’ai pas eu de réponse après trois communications. À mon avis, ce sont des gens qui récupèrent l’argent du gouvernement », estime M. André, qui dirige également le Comité d’action des personnes sans statut (CAPS).

Victimes de leur propre communauté

Le bâtonnier, David Ettedgui, évoque plusieurs raisons qui pourraient expliquer cette montée de plaintes en matière d’immigration. « Hausse de l’immigration, plus d’arnaqueurs, les victimes connaissent mieux leurs droits…, peut-être », dit-il. « Mais souvent, ce qu’on voit, c’est que les plaintes qu’on reçoit proviennent des avocats en bonne et due forme. Des gens qui se font flouer vont aller voir de vrais avocats pour réparer les torts causés », observe l’avocat montréalais en entrevue avec MNC. Le Barreau note également que ces faux avocats proviennent de la même communauté que les victimes et que les arnaqueurs étaient avocats dans leur pays d’origine, alors qu’ils ne le sont pas ici.

« Pour toute personne qui quitte son pays pour s’installer ici, il est essentiel d’être bien accompagné. La campagne « Méfiez-vous » offre notamment des ressources qui permettent aux immigrants de s’assurer que leur confiance est accordée aux bonnes personnes », a déclaré dans un communiqué Me David Ettedgui. Il rappelle que souvent, les services de faux avocats coûtent plus cher aux clients que ceux qui sont habilités à représenter des personnes en immigration. Le Barreau invite toute personne à vérifier sur le site web www.fauxavocat.ca l’enregistrement des plus de 29 000 avocats mandatés au Québec. Il y a aussi Justice Pro-Bono, certains bureaux de notaires et des consultants en immigration qui le sont. Les plaintes contre ces derniers sont très minimes selon Me Ettedgui.

« Les consultants en immigration sont aptes à agir pour des clients. Mais parfois, il y en a qui prétendent être avocats. C’est dommage, dit-il, puisqu’ils sont habilités à le faire, on se demande pourquoi ? »

Une centaine de plaintes

Le Collège des consultants en immigration et en citoyenneté n’a pas été en mesure de fournir le nombre de plaintes qu’il a reçu au cours des dernières années. Son président, John Murray, nous a annoncé, par courriel, qu’il « lancera en mars une campagne de sensibilisation à l’échelle mondiale dans le cadre du Mois de la prévention de la fraude. » Toutefois, sur le site Internet du Collège, MNC a pu recenser une quarantaine de permis qui ont été révoqués et une centaine de plaintes pour tout type de fautes professionnelles graves, en traitement actuellement.

Panneau publicitaire du Barreau du Québec.

La campagne « Méfiez-vous » est là pour rester. Le Barreau collabore avec plusieurs organismes communautaires, comme le Praida, la Maison d’Haïti entre autres, et met en circulation des dépliants en plusieurs langues dont le créole haïtien, l’espagnol et des langues du Sud asiatique afin de mieux rejoindre les victimes. Une procédure rapide pour vérifier si la personne qui accompagne dans les démarches d’immigration est habilitée à le faire est également disponible. Dans le cas contraire, un formulaire de plainte simplifié est à la disposition de tous sur le site du Barreau de Montréal pour dénoncer le faux avocat.

Jean Numa Goudou, Canadien d'origine haïtienne, possède plus de 25 ans d'expérience en journalisme. Ayant commencé sa carrière à Radio-Métropole à Port-au-Prince, il a ensuite immigré au Canada,...