La Concertation haïtienne pour les migrants (CHPM), un groupe d’une dizaine d’organismes haïtiens, appelle le premier ministre Justin Trudeau à changer d’approche face à la crise haïtienne et à prendre le leadership face à « l’urgence sécuritaire » en Haïti. Cette initiative, appelée « Approche de Montréal », vise à amener Ottawa à considérer l’apport de la diaspora haïtienne dans la résolution de la crise sécuritaire et humanitaire actuelle.
« La Concertation recommande que le Canada considère la situation sécuritaire d’Haïti comme un état de catastrophe nécessitant un traitement en mode urgence », écrivent les leaders dans une lettre adressée au premier ministre du Canada, le 18 mars dernier. Le Canada devrait prendre, selon eux, le leadership d’une assistance internationale d’urgence « visant à appuyer la Police Nationale d’Haïti, pour la protection et la sécurité de la population ».
Deux jours après, le bureau de Justin Trudeau n’a toujours pas réagi à la communication, soulignent les représentants de cette nouvelle initiative en faveur d’Haïti. La CHPM souhaite ce qu’elle appelle « une assistance technique » à la Police nationale haïtienne (PNH) en matière de sécurité. Mais cela devrait se faire de concert avec les Haïtiens et sa diaspora.
« On n’a pas le choix, dit Marjorie Villefranche de la Maison d’Haïti, on veut une assistance technique et cela prend des bras supplémentaires pour aider la police nationale selon nos conditions. » Mais, le problème, ajoute-t-elle, « c’est que, c’est l’agenda qui est important et actuellement il s’agit de leur agenda et ils ne veulent pas du nôtre ».
Le directeur du Centre international de documentation et d’information haïtienne, caribéenne et afro-canadienne (CIDIHCA), Frantz Voltaire, a, quant à lui, précisé sa pensée. « Moi, je suis contre toute intervention militaire, parce que cela ne va pas résoudre le problème », lance M. Voltaire sans détour avant d’appeler plutôt Ottawa à faire pression sur l’administration américaine afin d’arrêter le trafic d’armes vers Haïti à partir du port de Miami.
« Changement de paradigme »
Outre la question sécuritaire, l’initiative appelée « Approche de Montréal » évoque avec le premier ministre Trudeau une stratégie de développement, une fois que la situation sécuritaire se sera améliorée.
La Concertation recommande au gouvernement du Canada de développer dans les meilleurs délais, conjointement avec les représentant.e.s de la diaspora, une nouvelle approche à travers les actions du Canada en matière de développement en Haïti, de faire d’Haïti un des dix (10) plus importants bénéficiaires en matière d’aide au développement et d’appuyer l’émergence d’une démocratie haïtienne et d’une bonne gouvernance en respectant les valeurs canadiennes, dont le financement des élections et des partis politiques, ainsi que l’indépendance des autorités électorales.
« On demande un changement de paradigme. La situation qu’on vit est la résultante des interventions qui ont conduit à la défaillance de l’État. Nous demandons au gouvernement du Canada de changer sa façon de faire », lance la directrice générale du Centre Na Rivé, Ninette Piou, en conférence de presse.
« Il doit travailler avec nous, insiste-t-elle, Haïti doit être accompagnée par ses propres enfants. »
« Approche de Montréal », considère qu’il revient à la population haïtienne et à sa diaspora canadienne et internationale d’être les maîtres d’œuvre du chantier visant à redresser le pays, à améliorer les conditions de vie et à mettre fin aux cycles de violence, particulièrement, sur les femmes, les filles et les enfants.
Cette grande corvée touche à la mise à niveau des écoles et des centres de santé, de même que le développement de l’économie, d’une démocratie haïtienne et d’une bonne gouvernance. Les membres de cette nouvelle initiative pour Haïti disent se baser sur la société civile haïtienne, sur ses leaders et sur la présence de sa forte diaspora dotée de compétences diversifiées, notamment, en éducation, en santé, en ingénierie, en technologie, en politique, en administration publique, en affaires, en finance, en droit et en travail social pour réussir cette tâche.
« Sur les traces de Mulroney »
Ils rappellent qu’au Québec seulement, en plus du réseau des organismes communautaires, on peut compter aussi sur plus de 30 organisations régionales haïtiennes. Ces dernières s’investissent, sans appui gouvernemental, dans le développement de leur localité d’origine.
« S’il accepte la main tendue, le gouvernement fédéral appuiera un vent haïtien de réformes porté par de solides principes canadiens : ordre et sécurité, démocratie, élections libres sans ingérence étrangère, droits de la personne, stabilité et respect des institutions, cadre juridique, vérité et réconciliation », estiment les initiateurs de ce mouvement.
Marjorie Villefranche de la Maison d’Haïti a rappelé le leadership de l’ancien premier ministre conservateur Brian Mulroney dans la lutte contre l’apartheid et qui a fait preuve de courage dans ce dossier. « Nous exhortons le gouvernement canadien à suivre les traces du feu premier ministre Mulroney, dont nous saluons la mémoire. Nous sommes convaincus que le gouvernement du Canada peut à nouveau inspirer le monde dans la quête d’un avenir meilleur et durable pour Haïti », a-t-elle dit.
La Concertation haïtienne pour les migrants (CHPM) est une initiative citoyenne mise sur pied en 2017. Elle est composée de plus d’une dizaine d’organismes communautaires œuvrant dans les domaines de l’immigration, l’accueil des nouveaux arrivants, l’éducation, la santé et les services sociaux.