La question migratoire s’est retrouvée reliée à divers dossiers lors des débats électoraux québécois. De la hausse des prix des loyers à la pénurie d’infirmiers dans le système de santé, le thème était sur toutes les lèvres. Mais la langue française et les valeurs québécoises suscitaient le plus d’émotions : en effet, les deux débats télévisés, sur TVA et Radio-Canada, ont été cadrés de telle sorte que l’immigration soit mise dans le même panier que les enjeux identitaires.
Une juxtaposition parlante, à en juger par les interventions des candidats.
« Les Québécois sont parmi les plus accueillants au monde », a dit François Legault, en soulignant l’importance de franciser les nouveaux arrivants, lors du premier débat électoral du 15 septembre.
« Vous avez perdu le contrôle sur l’immigration », lui a rétorqué le péquiste Paul St-Pierre Plamondon pour qui le gouvernement actuel n’a pas fait assez pour réduire les seuils d’immigration du Québec : une preuve de plus, à ses yeux, de la tendance de la CAQ à se plier devant le patronat.
La libérale Dominique Anglade s’est dite surprise d’entendre de telles paroles sortir de la bouche du premier ministre, rappelant que ce dernier avait fait le lien « entre l’immigration et la violence ». Elle a critiqué également Gabriel Nadeau-Dubois, candidat de Québec Solidaire, pour avoir soutenu la loi 96 tendant à « marginaliser » les minorités linguistiques du Québec.
Pour Éric Duhaime, l’immigration n’est pas un problème en soi. Il faudrait tout simplement s’assurer que tous les migrants adhèrent aux « valeurs occidentales » qui comprennent, aux yeux du candidat conservateur, la laïcité et le respect des droits de la communauté LGBTQ+.
Que le Québec doive faire tout son possible pour franciser les migrants faisait pourtant l’objet d’un quasi-consensus. Il en allait de même sur la question des apports économiques des migrants au Québec. Les mots « richesse » et « pénurie de main d’œuvre » sont revenus à plusieurs reprises à chaque fois que les candidats parlaient de l’immigration.
Portrait déshumanisant
Pour Solidarité sans frontières (SSF), les politiciens de tous bords ont usé des enjeux migratoires pour attirer les électeurs.
« Gouverner n’est pas leur priorité. Ils se contentent de parler à leurs bases pour gagner les élections », dit Hady Kodoye, porte-parole de SSF. A son avis, ils visent à séduire une partie de leur électorat en ciblant des migrants qui, par définition, ne peuvent pas voter.
Pour le regroupement qui revendique les droits des sans-papiers, tous les partis politiques, peu importe leurs couleurs, avancent un portrait déshumanisant du migrant. D’aucuns, par exemple, ne remettent en question le pouvoir de l’État d’envoyer les nouveaux arrivants en région, quelles que soient les motivations personnelles ou espoirs réels de ces derniers. En outre, même les arguments que l’on entend le plus souvent en faveur d’immigration se réduisent au seul prisme économique, dit Kodoye, au mépris de la dimension humaine.
« Nous ne sommes pas de simples chiffres dans un exercice arithmétique démographique dont on peut débattre de manière abstraite, qu’on peut envoyer dans les régions ou accueillir pour combler la pénurie de main-d’œuvre » martèle-t-il.
Capacité d’accueil et la langue française
Dans la manière dont les enjeux migratoires sont abordés, on entretient un certain flou, dit Amandine Hamon, spécialiste en communications à l’Université de Montréal. Les migrants y sont présentés de façon homogène ou uniforme.
Un langage hydraulique tend à caractériser l’immigration en termes de « vague », de « flux », voire de « dilution » du peuple québécois, poursuit-elle.
« C’est tellement dilué qu’on se retrouve avec des amalgames et des mots comme « immigration massive » qui désigne quelque chose, mais on ne sait pas quoi. L’augmentation des seuils d’immigration … mais de qui ? Quel type d’immigration? C’est un prétexte à rester vague ».
C’est notamment le cas dans le débat sur la pérennité de la langue française. L’argument selon lequel l’immigration entraîne forcément une dilution linguistique du français au Québec semble bien ancré dans les esprits, dit-elle. « Mais est-ce que c’est vraiment l’immigration qui fait baisser la langue française ou est-ce que d’autres facteurs entrent en jeu ? »
Si le déclin dans le taux d’habitants ayant le français comme langue maternelle est incontestable, le facteur migratoire semble pourtant loin d’être le coupable qu’on en a fait.
L’impact à long terme de l’immigration s’avère minime, selon l’étude sur le déclin de la langue française qui a fait débat ces derniers mois. Même l’hypothèse, peu probable, d’une immigration complètement francophone d’ici 2030 n’arrêterait pas le déclin, d’après la même étude. L’anglais exerce une pression aussi forte sur les nouveaux arrivants que sur les gens nés ici.
Il n’empêche que les migrants sont ainsi présentés comme menace au français, et par extension, à la « cohésion nationale » . Une version light de ce discours, poursuit Hamon, consiste à cadrer le débat sur l’immigration en termes de « la capacité d’accueil » de la société québécoise. La phrase s’appuie sur une logique quantitative. Plus il y a de migrants, moins il y a d’emplois, moins il y a de français. Plus lourd pèse ainsi le fardeau qu’ils représentent sur la société.
« C’est comme mathématique » a dit le Premier ministre caquiste qui s’était opposé aux propositions du gouvernement fédéral d’augmenter les seuils d’immigration du Québec. Un constat qui relève toutefois simplement du « gros bon sens ». En effet, le gouvernement québécois n’a pas été capable de fournir des données précises sur la capacité d’accueil de la province.
À l’idée d’une capacité d’accueil limitée s’ajoute la nécessaire réduction du nombre d’immigrants qui entrent sur son territoire, selon le Parti québécois qui en a notamment fait son cheval de bataille contre le gouvernement fédéral. Les autres partis politiques ont rapidement emboîté le pas.
Lors du premier débat électoral, Legault défendait ainsi son bilan contre ses critiques, notamment celles de Plamondon et Duhaime, qui souhaiteraient que plus de pouvoirs soient délégués au Québec en matière de « contrôle des frontières » afin de lutter contre l’immigration irrégulière.
Plus que d’autres dossiers, les politiques migratoires incarnent les rapports tendus avec Ottawa. Le débat se réduit souvent à une bataille de chiffres, constate SSF, dans laquelle les gouvernements fédéral et provincial se renvoient la balle.
Ceci est le deuxième article du journaliste Christopher J. Chanco dans une série de deux articles sur les élections québécoises et la question de l’immigration. Veuillez cliquer ici pour lire la première partie.