Ritika Saraswat, diplômée de l’Université de la Colombie-Britannique, a récemment voyagé en Inde pour rencontrer des étudiants et discuter des défis qu’ils pourraient rencontrer s’ils venaient étudier au Canada. Elle a été surprise de constater à quel point ils avaient une image erronée de sa réalité.
« Les gens pensaient tous que j’étais riche à craquer», raconte-t-elle, après avoir rencontré près de 1 500 étudiants dans six villes. « Ils croient tous qu’on mène une vie de rêve au Canada, qu’on passe notre temps à faire la fête. C’est loin d’être la réalité! »
« On dirait qu’on leur inculque ce genre de mentalité dès leur plus jeune âge. Même les enseignants et les professeurs ont cette perception erronée », ajoute-t-elle.
Des rêves entachés par la réalité
Fondatrice de ReDefined, un organisme qui vise à sensibiliser les étudiants étrangers aux réalités de la vie au Canada, la jeune femme craint que cette perception biaisée motive certains à venir ici à tout prix, quitte à s’inscrire dans des établissements d’enseignement douteux, dans l’espoir d’obtenir ultérieurement la citoyenneté canadienne par la porte arrière.
Plusieurs de ces établissements fonctionnent grâce à des accords de licence de programmes d’études, permettant à des collèges privés d’offrir des programmes d’un collège public associé. Ces établissements sont moins surveillés, et ils excellent dans le recrutement d’étudiants étrangers.
« Quand on discute avec les étudiants eux-mêmes, on voit tout de suite la différence et le niveau de connaissances acquises », explique Saraswat. Elle fait référence ici aux étudiants fréquentant ces établissements que le ministre canadien de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Marc Miller, a comparés à des « usines à diplômes bidons ».
« Près de 40 % de leur temps est consacré à un travail à temps partiel, 30 % aux études et 30 % à rattraper leur retard scolaire ou à jongler avec d’autres obligations. Plusieurs se plaignent de ne pas recevoir un enseignement adéquat de la part des professeurs et doivent donc étudier en ligne à la maison pour réussir leurs travaux et leurs examens. »
Des promesses douteuses
Le voyage de Ritika Saraswat en Inde s’est terminé en décembre, quelques jours à peine avant que le Canada annonce un plafond de 360 000 permis d’études accordés aux étudiants étrangers souhaitant poursuivre des programmes de premier cycle en 2024. Cette mesure, qui représente une baisse de 35 % par rapport aux objectifs de l’année précédente, s’inscrit dans une série d’initiatives visant à limiter l’obtention de la résidence permanente par des voies détournées.
Ces mesures comprennent :
Une exigence de preuve de fonds plus élevée pour les futurs étudiants étrangers.
L’impossibilité pour les diplômés des collèges fonctionnant sous licence d’obtenir des permis de travail post-diplôme.
Une priorité accordée aux étudiants souhaitant poursuivre des études supérieures (maîtrise et doctorat) au Canada.
L’obligation pour tous les futurs établissements d’enseignement supérieur d’inclure, avec leur lettre d’acceptation, une attestation de la province ou du territoire concerné.
Saraswat donne un exemple bien concret des défis auxquels font face les étudiants inscrits dans ces programmes de premier cycle. Un couple découragé a dû vivre de ses économies en provenance de son pays d’origine, car il était incapable de trouver du travail au Canada.
« Le marché du travail est difficile, et son mari n’avait qu’un permis de travail de deux ans, alors les employeurs n’étaient pas enclins à l’embaucher », ajoute t-elle. « Il faut six mois juste pour former quelqu’un, donc les employeurs sont hésitants. Même s’ils étaient au courant de tout cela avant de venir ici, ils sont tout de même venus au Canada, en dépit du fait que ce soit l’un de leurs plus grands défis. »
Saraswat blâme également les agences qui facturent des frais exorbitants et présentent une image idyllique, mais irréaliste, du Canada. Les familles, qui veulent tellement voir leurs enfants réussir, se fient souvent aveuglément aux recommandations de leur agent d’immigration.
« Un consultant leur a dit: « si tu obtiens un diplôme d’un tel collège, tu trouveras un emploi dans les six mois ». Or, ça fait maintenant un an et demi qu’il est toujours sans emploi », témoigne Saraswat.
Des réseaux sociaux qui faussent la réalité de l’immigration
Pour de nombreux nouveaux arrivants, le rêve canadien débute bien avant leur arrivée au pays, dans leur pays d’origine. Plusieurs connaissent quelqu’un qui a immigré et, avec l’avènement des médias sociaux, nombreux sont les nouveaux arrivants qui documentent leur nouvelle vie en ligne, inspirant d’autres à les suivre, quitte à emprunter des chemins détournés.
Les agences d’immigration branchées sur les réseaux sociaux publient souvent des vidéos sensationnalistes. On y voit des agents remettre des passeports estampillés à des candidats, tandis que les parents qui les accompagnent pleurent d’émotion. D’autres vidéos montrent des gens exprimant leur joie de façon excessive une fois leur passeport tamponné.
À cela s’ajoutent les immigrants illégaux. Des vidéos les montrent en train de sauter la clôture frontalière entre les États-Unis et le Mexique, ou de traverser des rivières à la nage en direction du Canada. Certains, sans vergogne, publient leurs itinéraires ou même des témoignages, partageant les coordonnées de l’agent qui les a aidés à immigrer illégalement.
Dernièrement, on retrouve également sur les réseaux sociaux des entrevues d’immigrants réalisées dans des villes, où on leur pose des questions sur leur profession et leur revenu. La plupart des personnes interrogées sont des travailleurs hautement qualifiés, dont les revenus les placent facilement dans le 1 % supérieur. En assemblant ces pièces du puzzle, on obtient une image de la réalité bien différente, créant une demande accrue pour des stratagèmes d’immigration qui font miroiter le rêve canadien à la portée de tous.
Un système en entier à revoir
Kanwar Sierah, consultant en immigration à Brampton, en Ontario, et membre du Collège canadien des consultants en immigration et en citoyenneté, n’hésite pas à dénoncer les problèmes qui gangrènent le système d’immigration canadien.
« Je suis convaincu que le Canada a sciemment laissé ces portes dérobées ouvertes jusqu’à ce que la situation devienne incontrôlable, car elles contribuent de manière significative à l’économie canadienne », affirme Sierah. Il souligne que l’annonce du ministre Miller le mois dernier, bien qu’elle ait colmaté une faille, a mis la pression sur les agents pour qu’ils exploitent d’autres avenues.
Monsieur Sierah craint que les agents ne facturent des prix encore plus élevés aux clients pour exploiter d’autres options d’entrée alternatives, comme les programmes de travailleurs étrangers temporaires, de visiteurs résidents temporaires et de réfugiés/demandeurs d’asile. Il exhorte le Canada à prendre des mesures immédiates pour garantir l’intégrité de ces programmes. Blâmant tant les agents que leurs clients, Sierah affirme que les deux parties collaborent de manière malsaine pour utiliser les permis d’études non pas pour étudier, mais simplement pour entrer au Canada.
« Les collèges et universités continuent de faire appel à des intermediares qui mènent vers des agents peu scrupuleux à l’étranger au système éducatif canadien », déplore Sierah. « Des commissions substantielles sont récoltées par les mêmes agents qui vendent le rêve d’étudier à l’étranger au nom de la résidence permanente et d’autres fausses promesses. »
Le problème des acteurs de mauvaise foi est tout aussi grave dans d’autres domaines. Par exemple, le Barreau de Montréal a récemment lancé une campagne de sensibilisation pour mettre en garde la population contre les « faux avocats ».
Sierah qualifie la décision du ministre de l’Immigration de plafonner le nombre d’étudiants étrangers de « très nécessaire » et de « sensée », mais il craint qu’il ne soit difficile pour lui de respecter sa décision.
Lou Janssen Dangzalan, de LJD Law Professional Corporation à Toronto, souligne que les gens se sont malheureusement fait vendre des rêves qui étaient probablement irréalisables, même dans les meilleures circonstances.
« Le nombre d’étudiants étrangers au Canada est tout simplement disproportionné par rapport aux places disponibles pour les nouveaux résidents permanents », explique Dangzalan. « Le Canada ne peut pas continuer de prétendre que la majorité de ces étudiants, qui sont plus de 900 000, ne souhaitent pas obtenir la résidence permanente. Si l’on suppose que ne serait-ce que la moitié d’entre eux la désirent, ça ne tiennent pas la route. »
« Après des années d’ignorance des problèmes d’intégrité des programmes, on commence enfin à s’y attaquer. J’espère qu’il n’est pas trop tard. »
Dangzalan prédit que, à court terme, toutes les parties prenantes seront perdantes, mais que si les réformes sont bien menées, elles profiteront à long terme au Canada et aux étudiants étrangers.
Texte initialement publié en anglais. Traduction de Pierre Michaud.
Gautam est un journaliste, rédacteur en chef et rédacteur web expérimenté, rompu aux médias numériques et imprimés. Fort de plus de dix ans d'expérience éditoriale dans cinq pays, dont le Canada...
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En serrant les vis aux étudiants étrangers, une voie vers la résidence permanente s’est fermée
Texte écrit en collaboration avec Elvin Jacob.
Ritika Saraswat, diplômée de l’Université de la Colombie-Britannique, a récemment voyagé en Inde pour rencontrer des étudiants et discuter des défis qu’ils pourraient rencontrer s’ils venaient étudier au Canada. Elle a été surprise de constater à quel point ils avaient une image erronée de sa réalité.
« Les gens pensaient tous que j’étais riche à craquer», raconte-t-elle, après avoir rencontré près de 1 500 étudiants dans six villes. « Ils croient tous qu’on mène une vie de rêve au Canada, qu’on passe notre temps à faire la fête. C’est loin d’être la réalité! »
« On dirait qu’on leur inculque ce genre de mentalité dès leur plus jeune âge. Même les enseignants et les professeurs ont cette perception erronée », ajoute-t-elle.
Des rêves entachés par la réalité
Fondatrice de ReDefined, un organisme qui vise à sensibiliser les étudiants étrangers aux réalités de la vie au Canada, la jeune femme craint que cette perception biaisée motive certains à venir ici à tout prix, quitte à s’inscrire dans des établissements d’enseignement douteux, dans l’espoir d’obtenir ultérieurement la citoyenneté canadienne par la porte arrière.
Plusieurs de ces établissements fonctionnent grâce à des accords de licence de programmes d’études, permettant à des collèges privés d’offrir des programmes d’un collège public associé. Ces établissements sont moins surveillés, et ils excellent dans le recrutement d’étudiants étrangers.
« Quand on discute avec les étudiants eux-mêmes, on voit tout de suite la différence et le niveau de connaissances acquises », explique Saraswat. Elle fait référence ici aux étudiants fréquentant ces établissements que le ministre canadien de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Marc Miller, a comparés à des « usines à diplômes bidons ».
« Près de 40 % de leur temps est consacré à un travail à temps partiel, 30 % aux études et 30 % à rattraper leur retard scolaire ou à jongler avec d’autres obligations. Plusieurs se plaignent de ne pas recevoir un enseignement adéquat de la part des professeurs et doivent donc étudier en ligne à la maison pour réussir leurs travaux et leurs examens. »
Des promesses douteuses
Le voyage de Ritika Saraswat en Inde s’est terminé en décembre, quelques jours à peine avant que le Canada annonce un plafond de 360 000 permis d’études accordés aux étudiants étrangers souhaitant poursuivre des programmes de premier cycle en 2024. Cette mesure, qui représente une baisse de 35 % par rapport aux objectifs de l’année précédente, s’inscrit dans une série d’initiatives visant à limiter l’obtention de la résidence permanente par des voies détournées.
Ces mesures comprennent :
Saraswat donne un exemple bien concret des défis auxquels font face les étudiants inscrits dans ces programmes de premier cycle. Un couple découragé a dû vivre de ses économies en provenance de son pays d’origine, car il était incapable de trouver du travail au Canada.
« Le marché du travail est difficile, et son mari n’avait qu’un permis de travail de deux ans, alors les employeurs n’étaient pas enclins à l’embaucher », ajoute t-elle. « Il faut six mois juste pour former quelqu’un, donc les employeurs sont hésitants. Même s’ils étaient au courant de tout cela avant de venir ici, ils sont tout de même venus au Canada, en dépit du fait que ce soit l’un de leurs plus grands défis. »
Saraswat blâme également les agences qui facturent des frais exorbitants et présentent une image idyllique, mais irréaliste, du Canada. Les familles, qui veulent tellement voir leurs enfants réussir, se fient souvent aveuglément aux recommandations de leur agent d’immigration.
« Un consultant leur a dit: « si tu obtiens un diplôme d’un tel collège, tu trouveras un emploi dans les six mois ». Or, ça fait maintenant un an et demi qu’il est toujours sans emploi », témoigne Saraswat.
Des réseaux sociaux qui faussent la réalité de l’immigration
Pour de nombreux nouveaux arrivants, le rêve canadien débute bien avant leur arrivée au pays, dans leur pays d’origine. Plusieurs connaissent quelqu’un qui a immigré et, avec l’avènement des médias sociaux, nombreux sont les nouveaux arrivants qui documentent leur nouvelle vie en ligne, inspirant d’autres à les suivre, quitte à emprunter des chemins détournés.
Les agences d’immigration branchées sur les réseaux sociaux publient souvent des vidéos sensationnalistes. On y voit des agents remettre des passeports estampillés à des candidats, tandis que les parents qui les accompagnent pleurent d’émotion. D’autres vidéos montrent des gens exprimant leur joie de façon excessive une fois leur passeport tamponné.
À cela s’ajoutent les immigrants illégaux. Des vidéos les montrent en train de sauter la clôture frontalière entre les États-Unis et le Mexique, ou de traverser des rivières à la nage en direction du Canada. Certains, sans vergogne, publient leurs itinéraires ou même des témoignages, partageant les coordonnées de l’agent qui les a aidés à immigrer illégalement.
Dernièrement, on retrouve également sur les réseaux sociaux des entrevues d’immigrants réalisées dans des villes, où on leur pose des questions sur leur profession et leur revenu. La plupart des personnes interrogées sont des travailleurs hautement qualifiés, dont les revenus les placent facilement dans le 1 % supérieur. En assemblant ces pièces du puzzle, on obtient une image de la réalité bien différente, créant une demande accrue pour des stratagèmes d’immigration qui font miroiter le rêve canadien à la portée de tous.
Un système en entier à revoir
Kanwar Sierah, consultant en immigration à Brampton, en Ontario, et membre du Collège canadien des consultants en immigration et en citoyenneté, n’hésite pas à dénoncer les problèmes qui gangrènent le système d’immigration canadien.
« Je suis convaincu que le Canada a sciemment laissé ces portes dérobées ouvertes jusqu’à ce que la situation devienne incontrôlable, car elles contribuent de manière significative à l’économie canadienne », affirme Sierah. Il souligne que l’annonce du ministre Miller le mois dernier, bien qu’elle ait colmaté une faille, a mis la pression sur les agents pour qu’ils exploitent d’autres avenues.
Monsieur Sierah craint que les agents ne facturent des prix encore plus élevés aux clients pour exploiter d’autres options d’entrée alternatives, comme les programmes de travailleurs étrangers temporaires, de visiteurs résidents temporaires et de réfugiés/demandeurs d’asile. Il exhorte le Canada à prendre des mesures immédiates pour garantir l’intégrité de ces programmes. Blâmant tant les agents que leurs clients, Sierah affirme que les deux parties collaborent de manière malsaine pour utiliser les permis d’études non pas pour étudier, mais simplement pour entrer au Canada.
« Les collèges et universités continuent de faire appel à des intermediares qui mènent vers des agents peu scrupuleux à l’étranger au système éducatif canadien », déplore Sierah. « Des commissions substantielles sont récoltées par les mêmes agents qui vendent le rêve d’étudier à l’étranger au nom de la résidence permanente et d’autres fausses promesses. »
Le problème des acteurs de mauvaise foi est tout aussi grave dans d’autres domaines. Par exemple, le Barreau de Montréal a récemment lancé une campagne de sensibilisation pour mettre en garde la population contre les « faux avocats ».
Sierah qualifie la décision du ministre de l’Immigration de plafonner le nombre d’étudiants étrangers de « très nécessaire » et de « sensée », mais il craint qu’il ne soit difficile pour lui de respecter sa décision.
Lou Janssen Dangzalan, de LJD Law Professional Corporation à Toronto, souligne que les gens se sont malheureusement fait vendre des rêves qui étaient probablement irréalisables, même dans les meilleures circonstances.
« Le nombre d’étudiants étrangers au Canada est tout simplement disproportionné par rapport aux places disponibles pour les nouveaux résidents permanents », explique Dangzalan. « Le Canada ne peut pas continuer de prétendre que la majorité de ces étudiants, qui sont plus de 900 000, ne souhaitent pas obtenir la résidence permanente. Si l’on suppose que ne serait-ce que la moitié d’entre eux la désirent, ça ne tiennent pas la route. »
« Après des années d’ignorance des problèmes d’intégrité des programmes, on commence enfin à s’y attaquer. J’espère qu’il n’est pas trop tard. »
Dangzalan prédit que, à court terme, toutes les parties prenantes seront perdantes, mais que si les réformes sont bien menées, elles profiteront à long terme au Canada et aux étudiants étrangers.
Texte initialement publié en anglais. Traduction de Pierre Michaud.
Gautam Viswanathan
Gautam est un journaliste, rédacteur en chef et rédacteur web expérimenté, rompu aux médias numériques et imprimés. Fort de plus de dix ans d'expérience éditoriale dans cinq pays, dont le Canada... More by Gautam Viswanathan