Le nombre d’immigrants temporaires a explosé au Canada dans la dernière année pour atteindre 2,2 millions, a dévoilé Statistique Canada mercredi. Une hausse de 46 % en un an, la plus importante jamais enregistrée.
Au Québec, la population de résidents non permanents a également augmenté de près de 46% et se chiffre désormais à 470 000 personnes. La ministre de l’Immigration du gouvernement Legault, Christine Fréchette, demande conséquemment à Ottawa de revoir ses seuils d’immigration, alors que le gouvernement fédéral souhaite admettre 500 000 immigrants permanents par année dès 2025. Tous les partis représentés à l’Assemblée nationale ont également émis jeudi des réserves quant au nombre d’immigrants temporaires accueillis dans la province.
«Je trouve que ça mérite une réflexion et une prise de conscience […]», a déclaré la ministre Fréchette en point de presse mercredi. «Ce sont les villes, ce sont les provinces qui accueillent et qui accompagnent ces personnes. Il faut que le gouvernement canadien prenne ça en considération».
Stimuler la croissance économique
Les politiques d’immigration, à Ottawa comme à Québec, établissent des cibles pour l’immigration permanente, mais non pour l’immigration temporaire, souligne Gilles Grenier, professeur à la faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa. «[L’augmentation de 46%] n’a pas été planifiée. C’est arrivé comme ça», précise-t-il.
La hausse est principalement due aux travailleurs temporaires, qui dépassent désormais le million au pays, et aux étudiants étrangers. Les demandeurs d’asile contribuent à la hausse dans une moindre mesure, formant 12% de la population totale des résidents non permanents.
Les employeurs comptent en grand nombre sur les travailleurs étrangers pour combler la pénurie de main-d’œuvre, tandis que les universités, toujours en quête de financement, convoitent les étudiants étrangers puisqu’ils payent des frais de scolarité plus élevés, explique Brahim Boudarbat, professeur à l’École de relations industrielles de l’Université de Montréal. L’immigration temporaire répond donc à des impératifs de croissance économique, résume-t-il.
Les travailleurs temporaires, généralement très jeunes (75% ont entre 18 et 39 ans selon le recensement de 2021) et hautement scolarisés (60% ont un diplôme universitaire) sont très recherchés sur le marché de l’emploi, ajoute M. Boudarbat.
Malgré tout, l’immigration temporaire entraîne son lot de défis d’intégration, nuance-t-il. Les compétences et les qualifications des travailleurs étrangers sont souvent non reconnues, et ces derniers sont souvent victimes de discrimination. De plus, la concentration géographique des immigrants dans les grandes villes est problématique, puisque la pénurie de main-d’œuvre se fait ressentir dans toutes les régions, poursuit-il.
«Dans quelle mesure le Canada et le Québec tirent-ils avantage de cette manne de main-d’œuvre et utilisent-ils pleinement leur potentiel et leurs compétences?», s’interroge l’expert.
Les services publics sous pression
Lorsque la population augmente, «peu importe que ça vienne de la natalité, de l’immigration permanente, ou de l’immigration temporaire», la pression sur les services et les infrastructures augmente en conséquence, souligne Brahim Boudarbat.
«Des augmentations brusques et fortes, ça réduit le temps nécessaire pour s’ajuster. Par conséquent, ça amène des problématiques comme on est en train de le constater au niveau des logements, des garderies et des hôpitaux», affirme-t-il.
Gilles Grenier, comme Brahim Boudarbat, pense que le Canada bénéficierait d’un meilleur contrôle de l’immigration temporaire. Les travailleurs temporaires comblent certains besoins de main-d’œuvre dans le secteur privé à court terme, affirme-t-il. Cependant, ces travailleurs et les personnes à leur charge nécessitent également des services publics, accentuant la demande de main-d’œuvre dans des domaines comme la santé et l’éducation, explique le professeur. Contrairement à ce que certains disent, l’immigration n’est pas la solution à la pénurie de main-d’œuvre à long terme.»
Avec une croissance de 2,9% de sa population totale dans la dernière année, le Canada est en tête des pays du G7 et se classe parmi les 20 premiers pays à l’échelle planétaire pour l’accroissement géographique, selon Statistique Canada. Un rythme «insoutenable», alors que la croissance démographique se chiffrait plutôt autour de 1% par année dans les dernières décennies, estime Gilles Grenier.
Par ailleurs, le chercheur craint une explosion des délais administratifs pour traiter les dossiers des immigrants qui veulent obtenir la résidence permanente, que plusieurs se font refuser alors qu’ils sont au pays depuis plusieurs années déjà. «Le gouvernement fédéral a des cibles d’immigration tellement élevées qu’il n’arrive pas à administrer le système efficacement», dénonce-t-il.
Des considérations éthiques
L’immigration temporaire entraîne «son lot de considérations éthiques», souligne Brahim Boudarbat. Chaque fois qu’on amène un travailleur étranger ici, on le retire à un autre pays qui en a souvent besoin, note-t-il. «Il faut se demander si on n’est pas en train de développer un pays sur le plan social et économique sur le dos d’un autre», affirme-t-il.
Les travailleurs temporaires, qui connaissent généralement moins leurs droits, ont également tendance à accepter des conditions de travail moins satisfaisantes, poursuit-il. «Ça ouvre la porte à l’exploitation.»
De plus, le gouvernement fédéral devrait «se projeter un peu plus loin» pour sa planification, selon lui. «Ça va très bien maintenant sur le marché de l’emploi, mais qu’est-ce qui se passe si une récession arrive et que le taux de chômage augmente?», se demande-t-il. On sait que lorsque la situation se détériore sur le marché de l’emploi, les premiers qui écopent ce sont les travailleurs temporaires et les immigrants.»