Depuis le déclenchement de la campagne, en vue des élections provinciales du 3 octobre 2022, la préservation de la langue française est constamment évoquée dans le débat sur les seuils d’immigration.
Mi-septembre, Radio-Canada révélait par ailleurs que 80% des utilisateurs de la Boussole électorale veulent augmenter ou maintenir les seuils d’immigration actuels, fixés à 70 000 en 2022. Une hausse de 20 000 par rapport à l’an dernier, justifiée par un « rattrapage » postpandémique et par la pénurie de main-d’œuvre.
Le gouvernement de François Legault et de sa Coalition Avenir Québec (CAQ), qui affirmait vouloir « en prendre moins, mais en prendre soin », souhaite rétablir les seuils à 50 000 par année.
Un bilan nuancé
« Le prochain gouvernement a beaucoup de pain sur la planche », déclare Eva Lopez, directrice générale d’Intégration Communautaire des Immigrants (ICI), organisme pionnier de la régionalisation et qui offre notamment des services de francisation à la population immigrante de Thetford Mines, dans la région de Chaudière-Appalaches.
Bien qu’elle souligne « un effort assez important » déployé par le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) afin d’améliorer l’accessibilité à la francisation, en particulier à l’extérieur des grands centres urbains, Mme Lopez admet que « ça va très timidement ».
En 2020-2021, ce sont plus de 35 350 immigrants qui ont participé à des cours de francisation à l’échelle du Québec, d’après le rapport annuel du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI). En 2019, avant le déclenchement de la pandémie, 40 565 personnes ont été admises de manière permanente au Québec, dont la moitié déclarent connaître le français à l’admission, selon les données du MIFI.
« Les candidats ne prennent pas en compte les vrais enjeux de la francisation et les besoins réels de l’intégration globale des personnes immigrantes », s’indigne Mme Lopez. Elle est préoccupée par « l’instrumentalisation de l’immigration à toute les sauces », et affirme que le milieu communautaire, responsable d’une partie de l’offre en francisation, peine à être écouté.
Parler français : à quel prix?
« Plusieurs Québécois éprouvent des difficultés à concilier travail-famille. Alors, imaginez le défi de ces apprenants en francisation qui doivent concilier [les] démarches d’installation-famille-francisation-travail. À cette grande conciliation s’ajoutent parfois certaines problématiques importantes, notamment les chocs culturels, les traumatismes des expériences vécues avant l’arrivée au Canada, la non-reconnaissance de leurs acquis, la discrimination, etc. », rappelle le Regroupement des organismes en francisation du Québec (ROFQ), dans un communiqué transmis au New Canadian Media.
Une vision humanisante des personnes immigrantes partagée par Eva Lopez, qui juge qu’un regard colonial est posé sur les nouveaux arrivants, qu’on « traite comme des machines » : « Quand on a travaillé plusieurs heures dans des postes qui sont difficiles, exigeants physiquement, l’attitude n’est pas au rendez-vous pour suivre un cours de francisation », dit-elle.
La loi 96, adoptée en mai dernier, est d’ailleurs pointée du doigt pour son caractère discriminatoire, et par le ROFQ, et par la directrice générale d’ICI. Cette dernière croit que « la méconnaissance de la langue est un obstacle temporaire, et qu’avec un délai humainement responsable, les allophones ont le temps de bien apprendre le français et, avant tout, de bien s’intégrer ».
Eva Lopez souligne aussi les coûts élevés des tests de français que doivent faire les nouveaux arrivants en voie de francisation. « Je crois que le gouvernement devrait corriger le tir et faire en sorte que les tests d’évaluation de francisation soit inclus dans la formation et qu’ils deviennent totalement gratuits », dit-elle, ajoutant que le fardeau financier des immigrants est déjà considérable.
Francisation et régionalisation
Quels sont donc les enjeux réels qui mettent à mal ou ralentissent l’intégration linguistique des nouveaux arrivants au Québec?
À l’extérieur de Montréal et des centres urbains, l’accessibilité à la francisation repose aussi sur des facteurs connexes. L’absence de transports en commun ou encore la pénurie de places en garderie qui touche les régions peuvent par exemple affecter la capacité des nouveaux arrivants à suivre des cours de français, et en particulier les femmes, plus susceptibles de rester à la maison faute de service de garde, explique Mme Lopez.
Elle se condamne d’ailleurs le fait qu’il y ait très peu de classes d’accueil pour les enfants immigrés dans les écoles régionales et qu’« on ne l’a[it] pas mentionné une fois dans la campagne ». Une lacune auquel il faudrait remédier, selon elle, en préparant le corps enseignant et le milieu scolaire à accueillir les nouveaux arrivants.
L’offre de cours à distance pourrait également être bonifiée, croit Mme Lopez, ne serait-ce qu’en attendant que les enjeux liés au transport, aux garderies et aux écoles soient réglés.
À l’échelle de la province, les entreprises qui offrent des programmes de francisation à l’interne sont de plus en plus nombreuses. Certaines initiatives gouvernementales comme le Programme pilote d’immigration permanente des travailleurs de l’intelligence artificielle, des technologies de l’information et des effets visuels suivent également ce modèle.
Des initiatives qui seront appelées à se multiplier, alors que l’attraction de travailleurs étrangers temporaires et d’immigrants permanents est présentée par certains des principaux partis comme une des solutions à la pénurie de main-d’œuvre actuelle.
« Il ne faudrait pas que, pour faciliter un plan économique à cent mille à l’heure, on néglige les aspects humanitaires de l’immigration » met en garde Eva Lopez.