« Mettre de l’avant les traditions culinaires et agricoles afro-antillaises », c’est la mission que Jean-Philippe Vézina s’est donnée lorsqu’il a fondé sa ferme maraîchère Les Jardins Lakou en 2018 à Dunham, dans la région de Brome-Missisquoi au Québec. Pour le maraîcher originaire d’Haïti, son entreprise représente l’aboutissement d’un long parcours personnel en quête d’histoire et d’identité.
Au-delà de vouloir se consacrer à la culture des légumes traditionnels des Antilles tels que l’ocra, la patate douce, les piments forts, les feuilles d’amarante et les courges, ainsi que des produits plus traditionnels du terroir québécois tels que les tomates, les poivrons et les oignons, M. Vézina avait une plus grande ambition. Dans son désir de tisser des liens dans sa communauté, il tenait à faire de la sensibilisation et à intégrer des pratiques agricoles durables à son exploitation maraîchère.
Reconnecter avec ses origines
« Notre mission principale est de nourrir les gens [de la communauté] avec des produits locaux de qualité. La deuxième partie de la mission c’est vraiment de permettre aux afro-descendants de se reconnecter avec leur patrimoine agricole et culinaire », explique le maraîcher né en Haïti. Adopté à un très jeune âge et ayant grandi à Montréal, M. Vézina n’a pas eu beaucoup d’opportunités d’explorer ses racines haïtiennes durant sa jeunesse.
« Je n’ai pas été beaucoup en contact avec la culture ni la gastronomie haïtienne », confie celui pour qui, une fois devenu adulte, il a été important de pouvoir se rapprocher de ses origines haïtiens et africains.
La ferme Les Jardins Lakou offre des abonnements aux paniers de fruits et légumes, ainsi que de la vente en gros pour les épiceries et les restaurants. L’entreprise offre également des ateliers éducatifs sur place pour les garderies, les écoles et les centres communautaires.
Au coeur de la communauté
Avant de se lancer dans l’agriculture, Jean-Philippe Vézina a été consultant et gestionnaire dans le secteur communautaire, où il travaillait au sein de la communauté noire, à la fois anglophone et francophone, de la grande région de Montréal.
C’est lors d’un voyage « transformateur » en Haïti en 2017 que l’idée de fonder une ferme maraîchère est née. Le projet réunissait le désir de l’entrepreneur de se rapprocher de sa culture haïtienne et sa connaissance des enjeux que rencontrent les communautés noires au Canada.
« J’étais très conscient des enjeux qui touchent la sécurité alimentaire et des enjeux de santé reliés à une mauvaise alimentation, qui touchent particulièrement les gens d’ascendance africaine », explique celui qui est aussi blogueur et DJ à ses heures.
Toujours penché sur sa mission communautaire, M. Vézina choisit un nom plein de sens pour sa ferme : « Lakou », un mot créole qui désigne un concept culturel et historique haïtien.
« Ça fait partie du patrimoine paysan haïtien. En créole haïtien, on dit “le jardin lakou” pour désigner le jardin de la cour, près de la maison du paysan », explique-t-il.
« Dans l’histoire d’Haïti, il a une importance particulière parce que c’est l’alternative que les Haïtiens se sont donnée par rapport au système de plantation après l’indépendance d’Haïti. C’est une façon de cultiver les plantes maraîchères, les herbes médicinales et ce qu’on appelle le bois d’usage pour fabriquer des objets comme des bols, des sculptures et des tambours ».
D’après M. Vézina, le jardin de la cour permettait aussi aux membres de la communauté de se rassembler, élément qui était essentiel pour l’agriculteur lors de la conception de sa ferme.
La portée du mandat de la ferme Les Jardins Lakou s’étend au-delà du souci de servir les membres de la communauté noire afro-descendante de Montréal. Elle dessert également les membres des Premières Nations et les nouveaux arrivants au Canada.
« Je mets de l’avant l’histoire des Amériques. La cuisine créole ou des Antilles, c’est le résultat de la rencontre de trois grands continents: l’africain, l’américain et l’européen. C’est une toute nouvelle cuisine fusion qui a influencé toutes les Amériques ».
Santé à travers les traditions
Dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs, Les Jardins Lakou a organisé une série d’ateliers virtuels sur l’alimentation et la nutrition saines. Le programme intitulé Traditions Culinaires et Héritages Africains, offre des rendez-vous virtuels jusqu’au 26 février. Les ateliers combinent l’enseignement de l’histoire avec les techniques de cuisine et les bases nutritionnelles, afin d’aider les participants « à reconnecter avec les habitudes et traditions culinaires de la diaspora africaine ».
La nutrition infantile et le développement des saines habitudes alimentaires sont quelques-uns des sujets abordés dans les webinaires. D’autre part, les nouveaux arrivants peuvent assister à des ateliers sur comment s’adapter « à la réalité alimentaire » du Canada.
Tel que M. Vézina explique, en général, les nouveaux immigrants arrivent au Canada en très bonne santé car ils doivent passer un examen médical pour pouvoir compléter leur demande d’immigration. Mais une fois ici, ils perdent leurs repères par rapport aux aliments disponibles ici et ceux qu’ils avaient l’habitude de cuisiner. « Au lieu de trouver une façon d’utiliser ce qui est disponible localement, les gens se retournent souvent vers les produits d’alimentation rapide et les produits ultra transformés, qui sont très néfastes pour la santé », constate-t-il.
Valoriser son patrimoine
Plus qu’une entreprise, Les Jardins Lakou a une mission sociale centrée sur la valorisation des racines africaines et américaines, dans un effort de leur accorder leur place dans l’agriculture, domaine qui « en raison de l’histoire coloniale des Amériques », a favorisé une culture principalement européenne pendant des siècles.
Pour le fondateur, il s’agit notamment de mettre en lumière les contributions des Premières Nations et des descendants africains à la cuisine antillaise et caribéenne, ainsi que de « permettre aux gens de réapprendre toute [cette histoire] », le tout dans un souci de réduire les impacts environnementaux de sa production maraîchère.
« Obtenir tous ces produits-là qu’on importe de l’étranger vient avec un coût environnemental en termes de transport et d’enjeux sociaux, reliés à l’économie solidaire et au commerce équitable », affirme Jean-Philippe Vézina.
« Les faire pousser ici d’une façon plus écoresponsable, c’est quelque chose qui est important pour nous tous », conclut-il.