L’immigration à l’âge adulte est loin d’être simple. Pour plusieurs personnes, l’ouverture au changement et l’adaptation à de nouveaux rôles ainsi qu’à de nouvelles tâches amènent des défis de taille.
Les pertes qui surviennent parfois en cours de route peuvent constituer d’importants enjeux, et c’est le cas de la perte de repères familiaux.
Myriam Coppry est la fondatrice et la directrice générale de NUNANUQ Services Interculturels à Montréal. On y aide les parents à comprendre leur situation, ainsi qu’à traiter les pertes qu’ils vivent et à voir les aspects positifs de la migration pour eux et leurs enfants.
« Les parents peuvent se trouver désemparés face à la liberté sociale à laquelle leurs enfants ont accès, alors qu’ils perdent eux-mêmes une certaine forme d’autorité parentale qu’ils avaient l’habitude d’exercer auparavant, dit-elle. Cela affecte le noyau familial. »
Elle explique que certains parents arrivent parfois assez terrifiés à la clinique. « Dans une société capitaliste, chaque membre de la famille devient un producteur et les adolescents cherchent un emploi pour devenir indépendants, dit-elle. Cela modifie la structure du pouvoir au sein du foyer, car ce sont souvent les parents qui sont responsables au plan économique dans leurs pays d’origine. »
Mme Coppry souligne que les parents immigrants doivent souvent faire leur propre deuil, en ce qui a trait à la famille ainsi qu’à d’autres relations et au statut social. D’ailleurs, elle note que c’est aussi le cas pour les enfants. Alors qu’ils adoptent plus facilement la culture de la société d’accueil, ils sont souvent considérés comme des étrangers lorsqu’ils passent des vacances dans leurs pays d’origine.
En outre, l’immigration conduit les adultes à des pertes dans le pays qu’ils quittent. « Ils risquent de vivre des pertes en termes de statut social et professionnel », note la fondatrice de NUNANUQ Services Interculturels.
L’enquête Baromètre Écho 2020, réalisée par la Ville de Montréal, démontre que 50 % des personnes immigrantes ont vécu au moins un incident de discrimination fondée sur leur accent, leur appartenance ethnique, la couleur de leur peau ou leur religion.
Plus de 40 % des hommes occupent des emplois qui ne mettent pas à profit leurs qualifications professionnelles et qui sont plus difficilement reconnus.
Autant de difficultés qui poussent les personnes immigrantes à se tourner vers la religion. Un choix qui peut avoir des effets mitigés. Une étude publiée par l’Université d’Ottawa met en lumière « l’importance de la religion dans le processus d’immigration » et souligne qu’elle peut aussi constituer « un obstacle à l’intégration réussie des nouveaux arrivants dans la société d’accueil ».
Des divorces compliqués
*Jean est originaire d’Asie du Sud. Issu d’une famille musulmane, des différences d’opinions religieuses l’ont conduit à se séparer de son épouse au Québec.
« Nos divergences ont fait surface au moment où j’en venais à m’intégrer professionnellement, puisque je m’ouvrais à une nouvelle culture plus libérale et que faute de milieu favorable, ma compagne s’accrochait à ses traditions », explique Jean, qui préfère maintenir l’anonymat afin de rester confidentiel à l’endroit de sa famille. Il raconte qu’il y a 25 ans qu’il est venu avec sa famille au Québec.
« Il se peut que la liberté des femmes lui ait fait peur, se rappelle-t-il. Ou peut-être craignait-elle de perdre le respect de sa famille. »
Le couple a eu deux enfants. Une distance et une tension se sont cependant installées au fil du temps. Après dix ans de vie familiale, Jean a choisi de quitter son foyer, puis de demander le divorce.
Pour les nouveaux arrivants, les divorces peuvent être encore plus compliqués et davantage que pour les résidents de longue date. En particulier, c’est le cas pour les femmes qui doivent composer avec un statut d’immigration précaire, puisqu’elles risquent de ne pas avoir accès à l’option du divorce, note l’organisme d’assistance juridique Éducaloi.
« Si la personne parrainée et son époux qui la parraine divorcent, la demande de résidence permanente sera rejetée », peut-on lire sur le site de l’organisme.
En cas de pressions de la part des hommes, voire d’abus ou de violence conjugale, plusieurs femmes se sentent obligées de rester avec leur partenaire.
Il n’existe pas de données publiques à propos des divorces des personnes immigrantes, car la Loi sur le divorce interdit de révéler ces informations.
Nouvelles vies
Pour d’autres, la religion peut être une source d’énergie et de motivation. C’est le cas pour Yuly S. Ríos et son mari Jorge. Le couple considère la foi comme un grand soutien dans leur choix d’entreprendre une nouvelle vie avec leur fils au Canada.
Jorge, 44 ans, était propriétaire d’une entreprise florissante, une agence de voyage à Cali, en Colombie. Il y a quatre ans, au moment où de nouvelles technologies ont fait leur apparition dans le secteur touristique, il a choisi d’émigrer afin de se spécialiser en informatique.
Yuly et leur fils sont d’abord arrivés avec un statut de visiteurs. Ils ont ensuite entrepris le processus administratif afin d’immigrer et de travailler au Canada.
Yuly explique que leur vision des rôles familiaux restait initialement identique.
Elle a d’abord eu un emploi dans une usine, puis dans un centre d’appel, bien qu’elle soit comptable de profession.
Son mari se concentrait sur ses études, et leur fils allait à l’école. Yuli était responsable des travaux domestiques – ménage et lavage – en plus de faire la cuisine. Au fil du temps, Yuly a remis en question le modèle domestique. Elle a convaincu les hommes de la maison qu’ils devaient faire davantage que l’aider et contribuer à ces tâches, puisque celles-ci appartiennent à toute la famille.
Son mari et son fils ont rapidement appris à laver, plier et ranger les vêtements, puis à faire le ménage et à cuisiner, ainsi qu’à effectuer divers travaux. Aujourd’hui âgé de 21 ans, leur fils Miguel Angel, expert en marketing, a fait l’achat d’un aspirateur, et ils ont appris à se porter collectivement responsables de la maison.
Yuli raconte qu’au-delà des moments d’hésitation et de doute, ils sont guidés par leur foi religieuse. « Cela nous aide et nous donne confiance de savoir que nous sommes ici pour une bonne raison et que Dieu veille sur nous », dit-elle. « Nous sommes comme de l’argile dans les mains du potier. »
Aujourd’hui, ils sont membres de la Mission latino-américaine Mission Catholique Notre-Dame-de-Guadalupe. Cette organisation religieuse possède une approche centrée sur l’intégration sociale des personnes immigrantes. Elle met à l’honneur les traditions liées à la Vierge de Guadalupe, l’une des icônes religieuses les plus importantes d’Amérique latine. Le dimanche, la famille assiste à la messe offerte en espagnol par la Mission dans une église du Plateau Mont-Royal.
Ressources d’aide
Mme Coppry explique qu’elle vise à faire voir leurs enjeux aux familles afin de les aider à surmonter les pertes. Avec NUNANUQ Services Interculturels, elle cherche à leur faire voir les aspects positifs de la migration.
« On arrive à résoudre plusieurs situations, et les parents reprennent confiance en eux puis ils construisent une relation plus fonctionnelle avec leurs enfants », dit-elle. Il s’agit de créer un espace pour préserver ce qui a de la valeur pour eux et d’apprendre ce dont ils ont besoin pour leur nouvelle vie.
À Montréal, plusieurs organismes offrent des services aux familles immigrantes. On compte notamment le Centre Social d’Aide aux Immigrants (CSAI), Accueil aux immigrants de l’est de Montréal (AIEM), et PROMIS.
Par ailleurs, le Bureau d’intégration des nouveaux arrivants à Montréal (BINAM) constitue une ressource d’aide offerte à l’intention des personnes immigrantes et racisées ainsi que des demandeurs d’asile par la Ville de Montréal.
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Traduit de l’anglais original « The Dynamics of Immigration (Part 2): Turning to religion » par Alexis Lapointe