Résilients, insoumis, mais transformés

On dit souvent que les immigrants insufflent un dynamisme et une énergie nouvelle à leur pays d’adoption. Des nouveaux arrivants qui n’avaient jamais osé se lancer en affaires deviennent entrepreneurs, poussés à la fois par leurs passions et les défis rencontrés au Canada. Le Média des Nouveaux Canadiens (New Canadian media) incarnait cette idée audacieuse.

Notre organe de presse a vu le jour le 5 mai 2011, lorsque quatre personnes se sont réunies autour de ma table à dîner à Orléans, près d’Ottawa, pour explorer l’idée de créer une plateforme numérique qui représenterait le « point de vue des immigrants ». Fait intéressant, nous n’étions pas tous des nouveaux Canadiens. Il aura fallu une année supplémentaire pour mettre sur pied un organisme sans but lucratif qui servirait de tremplin à ce journalisme novateur, alors simple rêve.

Nous voici en novembre 2024, et que de chemin parcouru depuis.

Quelques chiffres éloquents : plus de 3 000 articles publiés en anglais et en français, avec la contribution de 500 auteurs différents. Bien que nous n’ayons jamais demandé à nos journalistes leur pays d’origine, j’estime qu’au moins 80 % d’entre eux étaient nés à l’étranger. Pour plusieurs, nos plateformes leur ont permis de signer leur premier article au Canada. Nombreux sont ceux qui ont ensuite brillé dans des salles de presse partout au pays, reconnaissants de la première « chance » que nous leur avions offerte.

Malheureusement, cette belle aventure tire à sa fin. Le conseil d’administration et moi-même avons dû prendre la décision déchirante qu’il n’y a pas de viabilité financière possible avec nos sources de revenus actuelles. Malgré l’obtention de presque tous les fonds publics sollicités, les revenus de sources « privées », incluant les dons, sont demeurés insuffisants. Nous manquions simplement d’argent pour rémunérer des rédacteurs chevronnés et assurer le fonctionnement de base.

Cet obstacle insurmontable s’est produit malgré le fait que nous ayons coché toutes les cases auxquelles une jeune entreprise médiatique à but non lucratif pouvait aspirer :

– Statut d’organisme de bienfaisance (« donataire reconnu ») en tant qu’Organisation journalistique enregistrée (l’une des rares au Canada)

– Un collectif de journalistes majoritairement immigrants, affilié à l’Association canadienne des journalistes 

– Lancement d’un site francophone en 2021

– Mention dans le Reuters Digital News Report de juin 2021 comme exemple des « nouvelles initiatives de diversité » suite au « mouvement Black Lives Matter et aux incidents racistes au Canada »

– Adhésion à toutes les principales associations médiatiques canadiennes

– Collaborations fructueuses avec d’autres médias et signatures d’auteurs d’un océan à l’autre[5]

Couronnement de nos efforts : en 2022, nous avons remporté le prix de l’innovation en journalisme numérique de la Fondation canadienne du journalisme, rivalisant avec les plus grands noms de l’industrie.

Contrairement à bien d’autres secteurs, le journalisme relève de l’intérêt public – et le demeurera, grâce à nos amis de Village Media qui ont généreusement offert d’héberger nos sites anglais et français afin que notre contenu reste accessible.

J’ai la conviction que l’idée que j’ai défendue, et que d’innombrables journalistes et quelques éditeurs respectés ont portée, survivra. Nous croyons tous en la nécessité d’une plateforme qui reflète l’évolution démographique spectaculaire du Canada, fruit de l’immigration. L’immigration est à la fois le présent et l’avenir de ce pays.

Ainsi, nous tirons notre révérence, fiers d’avoir donné le meilleur de nous-mêmes à cette entreprise, confiants en notre capacité à servir le bien commun sous d’autres formes, convaincus d’avoir offert notre plus bel effort et optimistes quant à l’avenir.