Comme la plupart des Haïtiens, Myriame Jacques a grandi en regardant sa mère cuisiner le fameux soup joumou, ou soupe à la courge, chaque 1er janvier pour commémorer l’indépendance d’Haïti.
Mais après une 2022 marquée par l’insécurité, la violence des gangs et une épidémie de choléra dans le pays, les Haïtiens de la diaspora telle que Myriame Jacques, se sont interrogés sur ce que signifie la liberté.
« Ça nous déchire le cœur. Un pays qui est libre depuis 1804 et qui connaît encore un climat d’insécurité où les gens ne peuvent pas vaquer librement à leur occupation », dit Myriame, assise à sa table dans sa maison à Orléans, en Ottawa.
Depuis son départ d’Haïti en 2005, Jacques utilise toujours la recette de sa mère pour cuisiner sa soupe.
Le plat est composé de bœuf, de pâtes, de pommes de terre, de carottes et de céleri cuit dans une sauce à la courge douce et épicée.
D’autre part, aux Gonaïves, là où l’indépendance a été proclamée, il n’ y a aucun signe de célébration dans les rues, a rapporté Le Nouvelliste. La tradition du discours officiel sur la Place D’armes, l’ambiance des rues a semblé être oubliée. Seule la tradition de la soupe a persévéré.
Histoire de la Soupe
Au temps colonial, Soup joumou était reconnu comme un mets délicat que seuls les propriétaires d’esclaves français appréciaient, a déclaré Jean Saint-Vil, un militant social haïtien, animateur de radio locale en Ottawa et auteur.
Mais lorsque les Haïtiens ont déclaré leur indépendance contre la domination française le 1er janvier 1804, ils ont récupéré et redéfini le plat.
« La soupe était aussi un symbole de reconstruction des familles africaines », a dit Jean Saint-Vil. « Le peuple, après avoir chassé les esclavagistes, se réunissait. Et donc, la soupe est devenue un moyen de dire que les Africains sont désormais propriétaires de ce territoire ».
Les recherches de l’historienne haïtienne Bayyinah Belo suggèrent que la tradition de boire de la soupe chaque jour de l’indépendance a été instituée par Marie-Claire Heureuse Félicité Bonheur Dessalines, la première impératrice d’Haïti, a expliqué Jean.
La proclamation de l’indépendance, dit-il, a d’ailleurs marqué la naissance d’une nouvelle nation.
« Une nouvelle nation sur le principe qu’on est tous humain, tout moun se moun », dit Jean. « C’est pourquoi, lorsque nous célébrons le Jour de l’Indépendance, même les sans-abri, les mendiants, tout le monde se réunit pour déguster de la soupe ».
Soup Joumou sur la scène mondiale
En décembre dernier, l’UNESCO a déclaré Soup Joumou un « patrimoine culturel immatériel de l’humanité ».
Myriame a dit qu’elle était ravie de la nouvelle. « Cela aidera d’autres pays à en savoir plus sur notre chère Haïti et à voir qu’elle a beaucoup à offrir ».
Mais selon Jean, il en faut plus. « Ça aura de l’importance que lorsque le reste du monde aura saisi les idéaux de la Révolution haïtienne, ce qui signifie simplement que nous sommes tous frères et sœurs sur cette planète et que la nourriture devrait être un droit humain », a-t-il déclaré.
De la révolution à aujourd’hui
La révolution haïtienne a proposé un mode de vie différent de celle de l’esclavage, selon Jean.
« Au lieu de dépendre le bien-être de quelques-uns sur la souffrance de la multitude, les Haïtiens ont proposé que nous puissions imaginer et concrétiser une société où nous travaillons tous et où nous partageons équitablement les produits de notre travail », a-t- il déclaré.
Mais l’assassinat du libérateur Haïtien, Jean-Jacques Dessalines, orchestré par les opposants de l’Empereur, a saboté cet objectif, d’après Jean.
Suite à son meutre, le pays est revenu au même système d’inégalité, « où une petite minorité de personnes profite de toutes les richesses de la terre sur le dos de la grande majorité », a expliqué Jean.
Un assassinat plus récent a empiré la situation du pays, celui du président haïtien Jovenel Moïse le 7 juillet 2021. La violence des gangs a augmenté et l’inflation s’intensifie, selon des reportages du Nouvelliste.
Pour libérer le pays, Jean a fait appel à l’autonomie gouvernementale des Haïtiens.
En octobre dernier, le Conseil de sécurité de l’ONU a débattu le déploiement d’une force armée internationale en Haïti pour aider à lutter contre l’instabilité politique, La Presse a rapporté.
L’ingérence internationale en Haïti, a déclaré Saint-Vil, n’est pas nouvelle. De 1915 à 1934, les États-Unis ont envahi et occupé Haïti suite à l’assasination du président haïtien en juillet 1915.
« Il y a toutes sortes de possibilités pour l’agriculture en Haïti, pour le tourisme et tout. Sauf que cela ne se concrétisera jamais tant que les États-Unis, le Canada, la France et de nombreux pays européens insistent pour que ce soit eux qui choisissent qui dirige Haïti », dit-il.