Le programme pilote consiste à supprimer temporairement la limite de 20 heures de travail imposée aux étudiant.e.s étranger.ère.s; une suspension qui convient à plusieurs étudiant.e.s mais suscite aussi des préoccupations.

Jusqu’en octobre 2022, les étudiant.e.s postsecondaires non-canadien.ne.s avaient droit de travailler un maximum 20 heures par semaine. Grâce à la levée de cette restriction, le gouvernement leur permet de travailler autant d’heures qu’il.elle.s le souhaitent jusqu’à la fin de l’année 2023.  

La nouvelle peut sembler anodine, mais elle comporte d’importantes répercussions pour le demi-million d’étudiant.e.s étranger.ère.s inscrit.e.s à des établissements d’enseignement supérieur au Canada. 

 Étudiante en orientation au George Brown College de Toronto, Jessica Sarah s’est réjouie en apprenant cette nouvelle. Elle s’est dit que pour la première fois depuis qu’elle s’est installée au Canada, elle allait pouvoir travailler plus de 20 heures par semaine et assurer son indépendance financière.

Arrivée en 2021, l’étudiante originaire de l’Inde complète sa dernière année au collège. Jusqu’à récemment, elle avait dû composer avec la limite de 20 heures de travail par semaine.   

«Quand j’ai appris la nouvelle, j’ai enfin senti que j’allais pouvoir prendre les rênes de mon parcours», dit Mme. Sarah.

Le ministre fédéral de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté, Sean Fraser, considère cette mesure comme une réponse à une conjoncture économique où plusieurs entreprises canadiennes manquent d’employé.e.s. 

«Ce changement reflète le rôle important que les étudiant.e.s étranger.ère.s peuvent jouer pour remédier à notre pénurie de main-d’œuvre, tout en poursuivant leurs études», peut-on lire dans le communiqué de presse d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC).

S’il s’agit d’une excellente nouvelle pour des étudiant.e.s comme Mme. Sarah, la mesure est loin de faire l’unanimité. Abdullah Balal, consultant en immigration établi à Toronto, croit qu’il s’agit d’une décision précipitée. 

«IRCC tente de mettre un pansement sur une blessure beaucoup trop grande, croit-il. Ce qui compte, c’est de cibler cette pénurie et de pallier à celle-ci avec la main-d’œuvre appropriée». 

En d’autres termes, le consultant en immigration dit qu’on ne peut pas solutionner une pénurie de main-d’œuvre potentiellement durable par le travail d’étudiant.e.s qui arrivent au pays. 

«Il faut s’assurer de concevoir des politiques qui attirent le bon type de main-d’œuvre, affirme M. Balal. C’est illogique de favoriser l’immigration d’ingénieur.e.s et de comptables au Canada, puis de demander aux étudiant.e.s de travailler afin de pallier à la pénurie de main-d’œuvre». 

Selon les dernières données de Statistique Canada, le nombre d’emplois vacants a augmenté de 143,13 % au cours des sept dernières années, de 2015 à 2022. L’année dernière, c’est dans le secteur de la vente et des services que les postes vacants étaient les plus nombreux, avec 339 515 postes vacants, alors que 180 335 postes demeuraient vacants dans le secteur des métiers, du transport et de la machinerie.

«Je sais que les gens ont du mal à concilier le travail à temps plein et les études, mais je ne pense pas que ce soit un choix, compte tenu du coût de la vie», ajoute M. Balal. 

 L’Indice des prix à la consommation (IPC), qui suit l’évolution des prix, tels que les consommateur.rice.s canadien.ne.s en font l’expérience, a augmenté de 6,3 % au cours de l’année écoulée. Selon la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), qui constitue l’agence nationale du logement, le loyer moyen en Ontario a augmenté de 6 % au cours de l’année écoulée. Les deux seules autres fois où l’augmentation a atteint ce niveau, c’était en 2000 et en 2019.

Les Canadien.ne.s moyen.ne.s ressentent depuis longtemps la pression de cette augmentation et c’est aussi le cas des étudiant.e.s étranger.ère.s.

Gautam Ravulapati, un diplômé de 25 ans du Lambton College de Sarnia (Ontario), est arrivé au Canada en 2018 en tant qu’étudiant étranger et il a dû organiser ses projets de travail en fonction de la limite de 20h.  

«L’un des principaux obstacles auxquels je faisais face auprès des employeur.e.s, c’était cette limitation, dit-il. On me disait qu’on appréciait mon profil, mais qu’on cherchait des gens capables de travailler davantage». À son avis, la nouvelle règle offrira enfin davantage d’opportunités aux étudiant.e.s étranger.ère.s.

Toutefois, la décision de Fraser s’accompagne de nouvelles règles.

Par exemple, les étudiant.e.s étranger.ère.s qui arrêtent leurs études ou réduisent leur charge de cours à temps partiel ne pourront pas travailler hors du campus. Cela signifie que les étudiant.e.s étranger.ère.s auront l’obligation d’étudier à temps plein –   tout en travaillant à l’extérieur du campus – pour bénéficier d’un permis de travail post-diplôme (PTPD) après l’obtention de leur diplôme au Canada.

Le PTPD constitue pour les étudiant.e.s étranger.ère.s l’un des principaux moyens de rester au pays, une fois leurs études terminées. Selon la Base de données longitudinales sur l’immigration (BDIM) de Statistiques Canada, 52 % des étudiant.e.s dont le permis d’études a expiré en 2014 ont fait une demande de PTPD au cours des quatre années suivantes.

David Garson, consultant en immigration établi à Toronto, affirme que de telles règles risquent d’avoir de graves conséquences pour cette cohorte d’étudiant.e.s internationaux.ales,  qui pourraient demander un permis de travail plus tard cette année ou l’année prochaine.

«On dit à des jeunes gens vulnérables: “Nous vous donnons la possibilité de travailler autant que vous le souhaitez, mais c’est à vous de vous assurer de respecter les obligations exigées par vos études au Canada.” C’est beaucoup demander à des jeunes qui ont parfois 19 ou 20 ans», affirme M. Garson.

Garson craint que plusieurs étudiant.e.s étranger.ère.s qui n’ont pas été sensibilisé.es à ces enjeux voient leurs demandes de permis de travail rejetées, dans le cas où il.elle.s abandonnent leurs cours en raison d’un emploi à temps plein.

Jobandeep Singh Sandhu, un étudiant international, a été expulsé du Canada en 2019 pour avoir travaillé plus de 20 heures par semaine afin de payer ses frais de scolarité. Migrant Students United (Étudiant.e.s migrant.e.s uni.e.s), une organisation de soutien aux étudiant.e.s internationaux.ales établie en Ontario, avait alors pris la parole et fait circuler une pétition en ligne pour empêcher l’expulsion de Sandhu. Sarom Rho, porte-parole du groupe, considère que la levée de la limite de 20h garantit davantage de droits aux étudiant.e.s migrant.e.s comme Sandhu.

«Il s’agit de pouvoir, de liberté et de flexibilité pour les étudiant.e.s travailleur.e.s migrant.e.s, dit-elle. Il s’agit du pouvoir pour chacun.e de choisir quand travailler et combien d’heures».


Cet article a initialement été publié en anglais. Article traduit par Alexis Lapointe. 

Née au Venezuela, Andreina Romero est journaliste pigiste pour New Canadian Media. Avant d'écrire pour New Canadian Media, Andreina était une collaboratrice bilingue du journal The Source, également...